« La valeur centrale de la spiritualité moderne n’est pas la foi mais l’épanouissement »

Rencontre avec le sociologue Jean-François Barbier-Bouvet qui a effectué une grande enquête sur les pratiques spirituelles émergentes.

Jean-François Barbier-Bouvet, à Evian (© François Boyer)

par Juliette Jaffrot et Hannah Marie

C’est une courbe qui ne cesse de descendre. En France, ces dernières années, le nombre de croyants revendiqués a dégringolé. Aujourd’hui, une personne sur deux se dit croyante, 40 % se disent catholiques et entre 6 et 8 % des Français vont à la messe au moins une fois par mois d’après une enquête ISSP-CNRS de 2018. Lors d’une conférence donnée à l’université des Amis de La Vie, Jean-François Barbier-Bouvet, sociologue et auteur de l’ouvrage Les nouveaux aventuriers de la spiritualité : enquête sur une soif d’aujourd’hui (Editions Médiaspaul, 2015), a replacé les évolutions de la spiritualité au cœur des transformations de la modernité. Après avoir recueilli 8000 témoignages sur la spiritualité et la religion, il a fait le constat d’une alternative spirituelle aux formes traditionnelles de la religion.

D’après vous, qu’est-ce que la spiritualité moderne ?

Telle que les gens nous en parlent, c’est une démarche dans laquelle le croyant est au centre de la quête spirituelle. Tout passe par ses émotions et ses expériences plutôt que par le suivi d’un enseignement extérieur. C’est donc le « moi » qui prime. Le « Je » est le fondement de la démarche et c’est ce qui la valide. La valeur centrale de la spiritualité moderne n’est donc pas la recherche de l’enrichissement de la foi mais la recherche de l’épanouissement.

La spiritualité moderne serait donc plus individualiste ?

Dans le jargon des sociologues on utilise le terme d’« individuation ». Il s’agit pour l’individu de se différencier des autres, sans forcément se placer comme supérieur à la société, ou indifférent aux autres. Cette démarche ne débouche pas sur l’individualisme puisque les chercheurs spirituels se sentent reliés aux autres.

Quelle est alors la différence entre le développement personnel et la quête spirituelle ?

Le développement personnel, comme les quêtes spirituelles, sont des démarches qui permettent d’atteindre des « niveaux de conscience augmentée ». Dans les deux cas, les exercices sont parfois très proches. Mais à l’arrivée, certains disent « j’ai pris conscience de ma personnalité profonde ou de la source de mes problèmes », quand d’autres affirment « j’ai pris conscience d’une dimension qui était en moi et dont j’ignorais la présence, je me sens aspiré par une force qui me dépasse ».

Vous faites un lien entre mai 68 et la dégringolade du pourcentage de croyants autour des années 70 (pour se stabiliser ensuite). Qu’est-ce que cet événement a changé dans le rapport à la religion en France ?

Il y a eu une reconsidération des croyances. En fait, cela a surtout accéléré un mouvement qui existait déjà, celui de la prise de distance avec l’Eglise et avec la pratique. Mais surtout, c’est mai 68 qui a mis l’individu au centre et c’est en cela qu’il a constitué un vrai bouleversement du rapport au monde. Avant, les solidarités, les traditions ou l’enseignement reçu faisaient le croyant. Après, la réflexion était plutôt centrée autour de « ce que moi je veux faire, ce que moi j’éprouve et ce que moi je pense ». Certaines croyances ont pris du plomb dans l’aile parce qu’elles étaient perçues comme importées de l’extérieur et n’étaient pas forcément vécues.

Est-ce que l’on peut dire que mai 68 a été une libération collective de l’individu ?

Votre expression est très juste, et cela dans tous les domaines : sexualité, économie, politique, spirituel…

La spiritualité moderne, se vit donc seule ou accompagné ?

La spiritualité ne peut pas se vivre seul. Si on ne la partage pas, elle s’effiloche, ne tiendra pas. Elle se vit accompagnée, mais par des groupes affinitaires. Les croyants s’ouvrent à des gens qui leur ressemblent.

Pensez-vous que ces nouveaux croyants peuvent perdre le sens de la communauté, du fait de l’absence de rituels encadrants, comme la messe du dimanche ?

Ils se réinventent d’autres communautés ! Les gens qui ont tenté d’empêcher l’A69 et qui ont essayé de faire une ZAD ont créé une communauté. Pour beaucoup de gens, l’écologie et la nature sont bien plus qu’un combat contre le capitalisme et se rapprochent d’une forme de spiritualité. C’est difficile lorsqu’on est dans une démarche un peu « hors-piste » de s’insérer dans des communautés déjà existantes. Résultat : de nouveaux groupes se créent. Seulement, à la différences des syndicats et des églises, ce ne sont pas toujours les mêmes, au même endroit, à intervalles réguliers. Il y a des temps forts qui réunissent les gens, par exemple des mobilisations pour une cause précise où les gens se retrouvent, puis se séparent.

Comment ces communautés vivent-elles leur engagement ?

A la différence des religions, souvent un peu sectaires et dogmatiques, qui réclament une certaine cohérence, ces nouvelles spiritualités peuvent s’en passer et acceptent le fait de vivre en accord avec des choses parfois totalement contradictoires.

Propos recueillis par Juliette Jaffrot et Hannah Marie

 

Amandine, 24 ans : « La foi voyage incognito »

Elle est l’une de celle qui offre une place importante à cette « quête spirituelle ». Cette étudiante en Master 2 d’anthropologie a grandi dans une famille non catholique ; elle avoue d’ailleurs ne jamais aller à l’Eglise. Malgré ça, la spiritualité la guide. Elle découvre en 2021 l’Académie Aurore, un centre crée par Pierre Yves Albrecht dans le but d’aider de jeunes toxicomanes. L’Académie accueille aujourd’hui tous ceux qui souhaitent « mieux se connaitre ». Cette quête passe par des initiations avec comme objectif la transformation positive de l’individu. Suite à des troubles du comportement alimentaire, elle tente l’expérience dans l’espoir de retrouver son « maitre intérieur ». « J’ai alors réussi à libérer la bonne partie de moi pour ne pas rester empêtré dans mes peurs » confesse t-elle. Sa devise ? « La foi voyage incognito ». Pour elle chacun croit, bien que ce soit de manières différentes. Elle admet que cela passe chez elle surtout par une « paix avec soi-même, un épanouissement personnel ».

Juliette L’Hermitte