La rédaction éphémère a participé le mercredi 25 octobre à une visite guidée de l’usine d’embouteillage des eaux Evian, à Publier-Amphion (Haute-Savoie). Entre la fabrication de bouteilles en plastique et la logistique, l’entreprise met en avant sa production garantie neutre en carbone et sa protection du territoire. Le tout, en exploitant une ressource naturelle pour l’expédier aux quatre coins de la planète.
par François Boyer et Soline Hariz
1789. Alors que la France vit un tournant de son histoire, un marquis en fuite se réfugie à Evian-les-Bains. Il associe la guérison de ses calculs rénaux à la consommation de l’eau de source de la ville. Celle-ci connaît alors un certain succès, après que des médecins aient commencé à la prescrire. Il n’en faut pas plus au marquis pour privatiser et commercialiser cette eau miraculeuse, dont l’Académie nationale de médecine reconnaît les bienfaits, presque cent ans après.
Pour posséder l’appellation d’eau minérale naturelle, peu importe la quantité de minéraux, mais Evian doit répondre à trois critères. Le premier est celui d’une source unique d’origine souterraine d’où proviennent l’ensemble de ses eaux. Celles d’Evian sont issues de la source Cachat, par ailleurs en accès libre dans le centre d’Evian-les-Bains. « Issue de la pluie et de la fonte des glaces, cette eau s’infiltre et chemine pendant quinze ans sur l’impluvium des roches glaciaires des Alpes » nous explique le responsable des visites à l’entrée de l’usine. C’est cet impluvium (large zone de captage de l’eau ruisselante alimentant les nappes phréatiques) qui assure une protection naturelle pour la ressource, la deuxième condition pour répondre à l’appellation. Troisièmement, l’absence de traitements chimiques est requise. Notre guide nous explique que cette mission est assurée par l’APIEME, association pour la protection de l’impluvium de l’eau minérale d’Evian, depuis 1974. Celle-ci a notamment permit l’arrêt de l’utilisation d’engrais chimiques par les agriculteurs des territoires aux alentours de l’impluvium.
En France, l’eau est reconnue comme un bien commun (ou ressource commune). Cela signifie qu’on ne peut en restreindre l’accès, par souci technique ou à cause d’un coût qui serait trop élevé. On parle de bien non-excluable, qui appartient à la fois à personne et à tous. C’est le cas des rivières, fleuves ou lacs du territoire. Exception faite des sources qui jaillissent de terre, naturellement ou par forage. Celles-ci reviennent de droit au propriétaire du terrain sur lequel elles jaillissent. Et à moins qu’elle ne donne naissance à un cours d’eau lorsqu’elle est abondante, l’eau de la source peut être employée à des fins domestiques, agricoles, ou industrielles, comme ici pour Evian.
Un petit pas pour l’environnement, un bond de géant pour la communication d’Evian
Entre les affiches de publicités iconiques d’Evian et les vidéos explicatives, la visite nous amène dans des couloirs surplombant les immenses chaînes de productions et entrepôts de l’usine. Ce parcours s’articule autour de la question du développement durable, depuis le captage de la source au transport des bouteilles. Notamment la composition du plastique de ces dernières, un mélange de 50% de PET (Polytéréphtalate d’éthylène vierge) et de 50% R-PET (Polytéréphtalate d’éthylène recyclé). L’objectif est d’atteindre le 100% recyclé pour 2025, alors que ce matériau, issu de plastique usagé et recyclable à l’infini, coûte deux à trois fois plus cher que le non-recyclé. La question des microparticules de plastique potentiellement présentes dans les bouteilles, soulevée par l’ONG Agir pour l’environnement, est – nous assure-t-on – prise au sérieux par le CIELE, Centre International d’Expertise de L’Eau, dont le bâtiment se situe sur le côté de l’usine. Avec 300 contrôles qualité sur la chaîne de production, l’eau embouteillée est l’un des produits les plus contrôlés au monde.
Le développement durable est aussi au cœur de la logistique, où le transport ferroviaire représente 60% des envois. Environ deux à trois trains partent quotidiennement de l’usine, qui utilise l’infrastructure de la SNCF pour acheminer ses packs et bouteilles aux quatre coins du pays.
Le voyage de l’eau d’Evian : un contresens environnemental
Parmi les quatre marques d’eau minérales du groupe Danone – avec Volvic, Badoit et Salvetat – Evian est la plus internationale. Si le marché français reste celui qui compte le plus, elle est aussi commercialisée sur les deux continents américains et en Asie, comme en Malaisie ou en Corée du Sud. Mais sur le marché asiatique, le Japon est le pays qui occupe la place la plus importante au sein de la production. Portant l’image séduisante du Made in France, la marque aux trois sommets y est plébiscitée comme un produit quasiment de luxe. Et ce car l’entreprise y a dédié une gamme, avec sa propre ligne de production, adaptée aux besoins du marché japonais. Ces bouteilles n’y sont pas bleues, mais totalement transparentes, non empaquetées mais vendues à l’unité dans les supermarchés et distributeurs automatiques, parfois en canette.
Le modèle mondialisé adopté par Evian soulève ceci dit des questionnements. Ce mode de production et de distribution permet à chacun de consommer l’eau d’Evian dans le monde entier et ce, aux dépens d’autres sources. Alors, quel est le sens d’exporter la plus célèbre des eaux alpines, quand les ressources des pays importateurs permettent généralement d’étancher la soif de leurs habitants ? Aussi, au moment où les effets de la crise climatique commencent à se faire plus visibles, quel intérêt de continuer à faire autant voyager l’eau ? En 2022, la directrice France du groupe belge Spadel, propriétaire des eaux Wattwiller, rappelait d’ailleurs au Parisien que la marque avait cessé de vendre ses bouteilles sur les marchés asiatique et au Moyen-Orient. Avant d’ajouter : « Cela n’a aucun sens d’exporter de l’eau à l’autre bout du monde. Cela permet aussi de réduire nos émissions de gaz à effet de serre » Le modèle capitaliste est ainsi confronté à ses limites, d’autant plus que l’eau est considérée comme un bien public mondial. Est-il donc légitime d’en faire encore un tel objet de consommation? A l’usine d’Evian, cette question n’est bien sûr pas sur la table.
Un article de François Boyer et Soline Hariz