Les Amis de La Vie du Bas-Rhin ont invité Jean Witt à témoigner de la façon dont les paroles de son épouse Janine, prononcées au cours des 18 ans de sa maladie d’Alzheimer, l’ont « remis face à Dieu ». Récit.
La plume du silence. C’est par ce premier livre, journal d’un amour plus fort que l’oubli publié en 2007, que Jean Witt a commencé à partager son expérience de la maladie d’Alzheimer. Ancien dominicain, Jean Witt a épousé Janine en 1971. En 1994, elle donne les premiers signes de la maladie. Il se tient à ses côtés pendant les 18 dernières années de sa vie, recueillant ses paroles fulgurantes qui l’ont selon ses propres mots « remis face à Dieu ». Cette conversion est l’objet d’un prochain livre de sa part. Le 6 avril dernier, il est venu en parler à Strasbourg avec les Amis de La Vie.
Le témoignage de Jean
Les paroles de son épouse l’ont beaucoup touché : de même que Janine exprimait sa détresse devant lui, il a compris qu’il pouvait mettre sa propre détresse devant Dieu en reliant les paroles de Janine à des psaumes et à d’autres passages de la Bible. Grâce aux paroles inouïes de son épouse, il a retrouvé les mots pour exprimer sa prière. Paradoxalement, la désorientation de son épouse due à sa maladie, l’a réorienté vers Dieu ; c’est dans sa maladie que Janine lui a le plus montré le grand amour qu’elle éprouvait pour lui.
Il comprend mieux les trois étapes de sa vie
Si les paroles de Janine l’ont conduit à retrouver son chemin vers Dieu, elles l’ont aussi conduit à réinterpréter la première bifurcation de sa vie, à savoir son départ de l’ordre des Dominicains. Il a désormais une claire conscience que la rencontre de l’amour de Janine était ce qu’il y avait de plus fort en lui. Lorsqu’elle lui a avoué « Je t’aime, tu sais tout », il a davantage été ébranlé que par la parole du prêtre qui l’avait conduit à entrer chez les Dominicains plusieurs années auparavant.
Comme Jean-Paul Vesco (actuellement prieur de la Province de France et évêque d’Oran) le lui a confirmé lorsqu’il a quitté l’ordre, Jean Witt ne fait que changer de chemin pour aller aussi loin que possible dans la voie du grand amour et il est manifeste que l’amour de Janine était bien ce chemin.
Il n’a pas à regretter d’avoir quitté la vie bien réglée de l’ordre car depuis la maladie de son épouse, sa vie n’a jamais été autant réglée, Janine est devenue pour lui un appel à vivre l’amour jusqu’au bout et à persévérer sur ce chemin. Dans un couple, si on ne donne pas plus que soi-même, on ne donne rien et Janine lui a donné plus qu’elle-même, elle lui a donné Dieu.
En conclusion, Jean Witt cite les propos de l’éditeur de son premier livre « ce témoignage poignant d’une traversée à deux de la maladie qui s’est transcendée en un chemin vers Dieu. »
Discussion
Plusieurs interventions portent sur la conciliation de l’amour humain avec l’amour de Dieu. Beaucoup d’apôtres étaient mariés, dont Pierre lui-même, ils n’ont pas eu à choisir entre suivre Jésus ou vivre leur vie de couple. Dans les trois premiers siècles de l’Eglise il était recommandé de choisir comme presbytres, des hommes mariés qui connaissent les problèmes de la famille.
Est-ce significatif que la quasi-totalité des saints soient des célibataires ? Comme si l’amour de Dieu prévalait sur l’amour humain ? Selon Maurice Bellet, s’il peut y avoir des tensions entre les deux, il ne saurait y avoir concurrence car « l’amour de Dieu ne s’ajoute pas à l’amour humain, il s’y manifeste ».
Le couple ne peut vivre un amour replié sur lui-même car s’il n’est pas en quête d’ouverture, de transcendance, il risque de devenir vite mortifère. Cette problématique est très présente dans la formation des diacres. Quand on aime Jésus-Christ qui est à la fois homme et Dieu, on passe par l’amour humain pour aimer Dieu dans la même personne, c’est tout le mystère de l’incarnation.
La philosophie de ce témoignage c’est le chemin d’Emmaüs : le Christ ressuscité vient nous rejoindre sur nos chemins, quels qu’ils soient, la maladie ou tout autre chose. Ce témoignage est passionnant car il atteste que la réponse à l’appel de Dieu n’est pas incompatible avec l’aspiration à la liberté parce qu’elle s’inscrit dans une relation d’amour.
Plusieurs interventions n’ont pas manqué d’aborder le cas ou un prêtre est amené à quitter son sacerdoce. Le prêtre condense jusqu’à nos jours, de la part de son entourage, un certain nombre de projections : il se trouve investi de certaines qualités, perçu comme une référence et le fait de quitter sa fonction peut être vécu comme une trahison. Un intervenant témoigne du fait qu’en quittant le séminaire, ses condisciples se sont sentis blessés, preuve qu’ils avaient investi en lui même si cela n’est pas voulu, cela fait partie des effets collatéraux inévitables à cette démarche. Il y aurait de quoi pousser un cri de colère devant les accusations de désertion ou de perversion formulées au cœur de l’Eglise à l’encontre de prêtres qui ont choisi un autre chemin.
Les coups de coeur
Le groupe des Amis du Bas -Rhin termine généralement ses réunions en évoquant les coups de cours de ses membres pour des articles de La Vie, des événements, des projets dont ils ont eu connaissance :
– coup de cœur pour les chroniques de Christophe André dans La Vie durant le carême : il a su employer des termes qui avaient une résonance pour un croyant ;
– coup de cœur pour le carême en ligne des Dominicains qui a su toucher toutes les sensibilités de l’Église ;
– coup de cœur pour le programme d’enseignement interreligieux en élaboration depuis deux ans, pour les collégiens et les lycéens d’Alsace : il a été rédigé en commun avec des catholiques, des protestants, des juifs et des musulmans et perçu avec bienveillance par le Rectorat. Dans ce contexte, le groupe exprime son incompréhension face à l’hostilité à ce projet exprimée par Mgr Laglaize, évêque de Metz qui estime qu’en tant que catholique, il doit transmettre l’héritage catholique.
Philippe Girogetti, avec les Amis du Bas-Rhin
Prochaine réunion du groupe le vendredi 21 septembre à 19h, au presbytère du Christ Ressuscité à Strasbourg.