Dimanche 2 juillet, Cécile Renouard a ouvert l’université d’été des Amis de La Vie en introduisant le thème « Courage, résister au fatalisme, discerner et rebondir ensemble ». Cette religieuse de l’Assomption, professeure d’éthique sociale et de philosophie politique au Centre Sèvres et directrice de recherche à l’ESSEC est familière des enjeux économiques, sociaux et écologiques.
Dans votre conférence, vous avez particulièrement insisté sur la nécessité d’un projet et d’un discernement collectifs. Comment porter concrètement cette ambition ?
Cette question du dégagement heureux, du décentrement, est la capacité à reconnaître que le développement de la personne est affaire d’engagement dans la cité, pour le bien commun. De plus en plus de jeunes de votre génération souhaitent partir pour un temps, pour une année de césure ou pour faire de l’humanitaire. C’est une façon de donner du sens à sa vie, aux compétences que chacun acquiert au cours de ses études, de se former autrement et de parfois réorienter ses choix. Pour plusieurs de mes élèves qui sont partis en Afrique, cela a eu des effets sur la manière d’orienter et de vivre leurs études, avec des répercussions sur leurs choix professionnels.
Serait-ce donc en se donnant aux autres que l’on arrive à trouver notre place dans la société et à porter ce projet collectif ?
Exactement. Dès lors qu’on a ce souci de regarder le bien de l’ensemble, en insistant sur les plus vulnérables de notre société, cela déplace nos critères de vie, de succès. Nous sommes marqués par des réflexes assez égocentrés où l’on pense que c’est le niveau de revenu, de salaire, qui sont les critères de vie réussie, et cela a des effets sur le style de vie. Réaliser que se soucier des plus vulnérables, du bien commun, des enjeux sociaux, climatiques, etc. rend heureux, redonne du sens à la vie. L’enjeu de ce décentrement, c’est aussi de vivre l’expérience que l’on reçoit bien plus que ce que l’on peut soi-même apporter.
“Quand on commence à se délester du souci des biens matériels, des choses d’apparence, on fait l’expérience de pouvoir s’engager plus pleinement.”
Il y a alors vraiment une démarche personnelle derrière ce discernement qui sera après collectif. Les deux sont-ils intimement liés ?
Complètement. C’est un va-et-vient entre ce souci à titre personnel de se laisser décentrer et de pouvoir contribuer pleinement à un projet collectif. Cela implique que l’on fasse parfois des choix qui ne sont pas forcément ceux que l’on aurait imaginé, qui ne correspondent pas forcément à ce que l’on estime être son talent immédiat. C’est aussi ainsi que l’on découvre des talents insoupçonnés et que l’on se découvre soi-même.
Par quels moyens êtes-vous parvenue à ce décentrement ? Par la prière ?
Oui, dans le cadre de mon chemin dans une congrégation religieuse avec le désir de suivre le Christ. Ce décentrement s’approfondit dans la prière, jamais déconnectée de la réalité quotidienne. Ce n’est pas sans combat. Gandhi écrit à propos de sa propre expérience personnelle un passage magnifique. Il explique que son engagement politique est devenu entier à partir du moment où il a décidé de se dégager du souci des richesses. Quand on commence à se délester du souci des biens matériels, des choses d’apparence, on fait l’expérience de pouvoir s’engager plus pleinement, plus librement, et d’y trouver une très grande joie. L’altruisme est un choix qui rend heureux, cela fait des vies plus pleines et riches d’expériences, de rencontres, de relations qui élargissent les horizons.
“Du point de vue de nos responsabilités individuelles et collectives, il est nécessaire de transformer nos manières de consommer et de faire pression sur les producteurs”
Dans votre intervention, vous avez beaucoup insisté sur le fait que l’écologie est l’un des projets collectifs à porter des plus importants, sur la nécessité de trouver un rapport ajusté au monde qui nous est confié. Quel est-il, ce rapport ajusté ?
Je pense que la question de la sobriété, qui consiste à réduire nos consommations de manière à réduire nos émissions, est fondamentale. On ne peut la laisser de côté aujourd’hui, au niveau des choix de vie à petite échelle autant que dans les choix de politiques publiques. Dans le cadre du débat national portant sur la transition énergétique, des chercheurs avaient proposé des scénarios pour arriver à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, avec trois piliers : efficacité énergétique, énergies renouvelables et sobriété. Ce troisième pilier devrait sans doute être le premier. Or, ce mot est quasiment toujours absent des scénarios proposés par les organisations internationales, ou quand il est évoqué, c’est le scénario qui apparaît comme le moins probable. Du point de vue de nos responsabilités individuelles et collectives, il est nécessaire de transformer nos manières de consommer et de faire pression sur les producteurs. Là encore, je pense que les choix individuels sont importants, mais c’est loin d’être suffisant pour pouvoir changer d’échelle. Il y a une vraie interrogation sur la manière de faire en sorte que les initiatives qui voient le jour à l’échelon local puissent avoir des incidences sur les décisions des politiques publiques.
Propos recueillis par Clarisse Corruble et Timothé Durand