La Chartreuse, du spirituel au spiritueux

La Chartreuse, c’est à la fois un monastère, un musée, une distillerie et une cave. Les Amis de La Vie ont pu découvrir ce paradis perdu des monts isérois, le 5 juillet lors d’une sortie dans le cadre de l’université d’été. De Saint-Pierre de Chartreuse à Voiron, de la Correrie aux caves de la distillerie, les moines chartreux restent pour beaucoup un mystère.

La découverte ne pouvait commencer pour nos Amis de La Vie que par la visite des caves du lieu historique de la distillerie. A peine en franchit-on le seuil que monte la douce odeur des effluves enivrantes de la liqueur. Produite par les moines du monastère de la Grande Chartreuse, seuls deux d’entre eux en connaissent le secret de fabrication. Réunissant plus de 130 plantes, la composition de la chartreuse demeure l’un des mystères les plus entiers. Le liquide, entreposé dans la plus grande cave à liqueur du monde, est commercialisé par une société qui reverse un pourcentage à la communauté. Les bénéfices tirés par les moines sont ensuite répartis et permettent le financement des 16 monastères chartreux à travers le monde.

La recette offerte aux chartreux par le maréchal d’Estrées en 1609, sous le nom «d’élixir de longue vie », n’a cessé d’être améliorée. Il existe désormais différents types de liqueurs dont le goût varie en fonction de paramètres tels que les proportions des ingrédients ou encore le vieillissement. Connue pour ses vertus thérapeutiques, elle permet, sous sa forme la plus brute, de guérir certains maux. Ceci ne peut cependant être utilisé comme un prétexte pour en abuser. Sous cette version, l’élixir est en effet titré à 69° !

Populaire en Australie 

Cette liqueur a participé à l’essor économique de la ville de Voiron qui s’est construite autour de la distillerie. Encore aujourd’hui, la commercialisation de la liqueur concerne plus de 50 employés au sein de la structure. Pour des raisons de sécurité, la production ne peut toutefois rester en plein centre de la ville et le site actuel ne sera plus qu’un musée. La nouvelle distillerie, située à Aigues Noires, sera opérationnelle fin 2017.

Danielle, organisatrice de la sortie et originaire de la région, confie : « Les Voironnais ont un attachement sans limite aux moines cartusiens, qui ont permis à la région un rayonnement international. Le bar qui consomme le plus de Chartreuse est d’ailleurs situé à Sidney, en Australie. » Un patrimoine dont les habitants de Voiron sont fiers, bien qu’ils n’aient de contact avec les chartreux.

 

« Mais pourquoi tous ces murs et ces grands portails fermés ? Que font-ils, ces moines qui se cachent derrière ? », Dom Marcellin, père chartreux (citation affichée à l’entrée du musée)

Néanmoins, du spiritueux, il est désormais nécessaire à nos aventuriers de s’élever plus encore dans les montagnes, afin de s’ouvrir au spirituel pour mieux connaître les moines. Le massif chartreux, un lieu où leur silence est pour eux plus utile au monde que leur parole, où leurs chants et prières portent le monde, où le travail n’est pas une échappatoire mais un support à la prière. Une vie chaque jour rythmée par l’ascèse, le travail, la prière. Ces 25 moines portent le monde à travers leur prière continue, l’abbé Pierre confiait : « Je n’aurai jamais pu me donner autant s’il n’y avait eu des contemplatifs ».

Cet ordre fondé par Saint Bruno en 1084 n’a « jamais été réformé car jamais déformé », selon les moines cartusiens. L’implication des chartreux dans la vie locale est à la fois discrète et omniprésente. Grâce à leur activité et aux dons qu’ils perçoivent, ils contribuent au financement de nombreux projets. Ils sont par exemple sollicités tant pour des rénovations d’écoles que de basiliques lorsque les subventions viennent à manquer. Cependant, même leurs plus proches collaborateurs et leurs employés les connaissent peu. Blandine Damieux-Verdeau est guide-conférencière au musée de la Grande Chartreuse depuis plus de 10 ans. Elle est marquée par la confiance que lui témoignent les Chartreux alors qu’ils ne l’ont jamais vue à l’œuvre. « Ils ne sont pas en marge du monde mais vivent en parallèle », confie Blandine, tandis que les visiteurs déambulent au sein de l’ancien lieu de vie des frères. Si les dégustations ont fait l’unanimité, il semblerait que devenir Chartreux reste une vocation qui ne parle pas à tous.

Clarisse Corruble et Timothé Durand