Solène Chardronnet a participé à l’université des Amis de La Vie à Evian du 22 au 27 octobre 2023. Elle a mis noir sur blanc ce qu’elle souhaitait partager avec ses deux filles et son fils qui ont une vingtaine d’années.
(Le lac Léman vue d’Evian-les-Bains, illustration d’Eliott Guillon de Princé, rédaction éphémère 2023)
Cette université est l’œuvre de l’association des amis de La Vie qui regroupe des lecteurs de l’hebdomadaire d’actualité La Vie. Chaque année, elle organise cinq jours de réflexion sur un thème de société. Philosophes, biblistes, théologiens, sociologues, scientifiques, témoins anonymes s’y succèdent pour partager leurs savoirs, lancer un débat, susciter un questionnement, partager leurs expériences. C’est un lieu d’échange, de recherche personnelle et de ressourcement pour les 300 participants présents.
Cette année, le thème était « Croire encore ? À la rencontre de la quête spirituelle de nos contemporains ».
J’ai eu envie de mettre par écrit ce que j’ai entendu, compris, vécu ces derniers jours à Évian, pour plusieurs raisons : d’abord pour garder en mémoire les mots entendus et les interrogations qu’elles ont suscitées en moi. Pour m’obliger aussi à rassembler mes idées et à me les approprier encore plus. Enfin, pour être plus à même d’en parler avec vous, car ce n’est jamais simple de mettre des mots sur une expérience, encore plus quand elle touche à l’intimité : la foi.
Alors que vous étiez petits, Sarah, Nestor et Fanny, je vous ai transmis des paroles, des valeurs, des rites qui faisaient sens pour moi et qui vous parlaient de ma relation à cet autre, indéfinissable que j’appelle Dieu et qui m’invite à un dépassement. Aujourd’hui, c’est de votre propre chef que vous tracez votre route sur le chemin de l’existence. Et au gré des rencontres, que j’espère belles et fructueuses, vous avancerez, vous ferez des choix, vous tenterez une réponse aux grandes questions de la Vie. Du guide, je deviens témoin. Alors, après 6 jours riches, voici quelques-unes des réflexions qui m’ont interpellée, en guise de témoignage.
L’Église, institution, a trop donné à croire qu’elle sait. Or Dieu, on ne peut pas le connaître.
La Bible ne donne pas de définition de Dieu. La Bible est comme une ancienne bibliothèque pleine de sagesse qui compile des histoires de vie et traite des grandes questions existentielles nous rappelle Bénédicte Lemmejlin, théologienne et doyenne de la Faculté de Théologie de l’université de Louvain (Belgique). La Bible parle d’une relation à Dieu. Et la foi est l’expérience d’une présence. Une expérience très personnelle pour moi, difficile à expliquer, mais bien réelle. La théologienne conclue ainsi : nous devons passer d’un savoir non critique à une savante ignorance. Perspective intéressante.
Jésus ne dit pas ta foi en Dieu t’a sauvé mais « ta foi t’a sauvé ». Cet éclairage pointé par Jean-François Collange, pasteur, est pour moi très libérateur. Car il interroge « le croire » de chaque homme. « Ta foi t’a sauvé » : ton humanité la plus profonde t’a sauvé.
Car croire est à la base de l’existence humaine : croire que…, croire en…, croire envers et contre tout. Pour moi, ce mot a une force folle. Croire c’est se projeter vers l’avenir, au-delà de l’évidence, de la certitude, c’est oser une création imaginaire, c’est faire un pari, c’est apprivoiser l’incertitude, c’est faire confiance. Tout le monde a de la foi. La religion, elle, s’enracine dans l’absolu (comme l’amour et l’espérance), mais peut aussi tomber dans le fondamentalisme. Soyons vigilants.
Le rite est un soin. Cette phrase de Gabriel Ringlet, prêtre et théologien, résonne fortement en moi. Alors même que j’ai le sentiment parfois de m’éloigner des rites. Peut-être pour les réinterroger, les faire miens. Le rite apporte de la légèreté dans la gravité pour raconter une histoire. Célébrer un rite n’est pas réservé aux croyants. Célébrer c’est avec de l’ici, faire de l’au-delà. C’est donner à l’humanité plus d’humanité. Et étrange paradoxe, alors que les églises sont désertées, la demande de rituels n’a jamais été aussi importante. J’interroge : quel rite avons-nous chacun et ensemble ?
Le pouvoir n’est pas nommé dans l’église. On parle de service. Or il y a des abus de pouvoir (dans la représentation de la femme dans les textes, dans l’institution, dans l’ingérence dans nos vies…) Et il n’existe pas de contre-pouvoir. Mathilde Hallot-Charmasson, historienne, Anne Guillard, docteure en théologie et théorie politique, et Lucy Sharkey, psychologue clinicienne, toutes trois jeunes écoféministes (moyenne d’âge 32 ans !), nous invitent à sortir de cette logique de la domination (de la part de l’Église et de la société capitaliste) qui opprime la nature et les femmes, pour entrer dans une logique de symbiose, de puissance (être avec) par opposition à pouvoir. Quelle représentation de Dieu.e ai-je ?
Jésus nous demande d’être témoin. C’est tout ! Ce rappel de la part de Valérie Le Chevalier, théologienne au Centre Sèvres, rejoint ma conviction : trop souvent les systèmes (rites, sacrements, doctrine…) mis en place nous détournent de l’essentiel : être témoin, transmettre. Mais que transmettre ? Que Jésus vient questionner chacun sur son désir profond « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Luc, 18, 41). Comme l’explique Jean-Philippe Pierron, professeur de philosophie, nous devons protéger nos soifs, ne pas réduire nos désirs (ce qui peut combler nos aspirations profondes) à nos envies.
Et comment transmettre ? En veillant à ne pas enfermer nos paroles dans du définitif. Nous devons maintenir des trous dans la langue, dit-il en faisant le parallèle avec l’hébreu, cette langue faite de consonnes qui laisse place à l’interprétation. Sans cesse, inventer des signes qui fassent signe.
Voici quelques réflexions, issues des propos des intervenants, que j’ai fait miennes. Ces 6 jours d’écoute et d’échange ont été une respiration.
Solène Chardronnet