Chaque matin, après le petit-déjeuner et avant le fil rouge, les 300 inscrits à l’université d’été étaient invités à un moment de méditation.
Ces méditations ont pris une forme différente chaque jour, elle fut poétique le mercredi matin, animée par le comédien Jean-Marie Lorvellec et a particulièrement touchée les participants.
Voici les différents textes lus à cette occasion.
La médiation a été dédiée au Père Augustin Lebreton, en témoigne l’introduction de René Martin.
“C’est sa voix qui fait écho à la simplicité de la vie …aux douleurs des hommes comme à leurs grandeurs.
Chaque poème est une image vraie, minutieusement vraie qui aime l’homme et l’accompagne vers Dieu.
Lui qui sait si bien regarder, si bien écouter.
La poésie d’Augustin, c’est lui.”
L’acte d’écrire
La Poésie naît du silence
“La Poésie naît du silence et retourne au silence :
Elle est un entre-deux qui s’ouvre sur les abîmes de l’être et tente d’en explorer les profondeurs.
Le poète accomplit l’exercice périlleux qui consiste à côtoyer les régions mortelles de la souffrance, du Mal et de la Mort et d’y saisir les paroles qui sauvent et qui délivrent.
Alors, monte en lui la louange, avant que s’accomplisse à travers le grand combat, la plénitude de la Vie qui est grâce indicible et ineffable.”
Yves Cosson
La cuisine du poète
“Dans la cuisine nocturne, sous le néon cru et bourdonnant, tu ne verras rien qu’une femme à l’écriture.
Elle a repoussé une assiette, trois verres, les reliefs d’un repas et rafraîchi la place de son cahier.
Au-dehors il se peut que le vent tournoie et terrifie, que des paquets de pluie se plaquent au béton aveuglé ; sans doute la neige mûrit-elle sous le froid, les étoiles deviennent-elles piquantes ; à moins que l’immonde ténèbre n’enserre l’univers dans sa poigne acérée.
Elle penche la tête comme ceux qui souffrent ou réfléchissent mais, sous le crayon courant entre les lignes, tu pourrais, tapi derrière elle, surprendre l’écume des vagues, quelque visage caressé, un arbre que l’été foudroie, le récit de ta propre peur.
Avec ses mots agiles, elle saisit la vie à la gorge pour lui faire rendre âme et images, la sorcière.
Ce n’est qu’une femme occupée à tailler une large tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours.”
Colette Nys-Mazure
Pourquoi écrire? Le poète et l’engagement
Ecrire
“Dans ce temps parcimonieusement compté, j’écris par tous les temps, les autans, livrée aux quatre éléments. Echevelée sous la pluie ou les doigts engourdis, la peau brûlée ou le front aux vitres. Assise au bord du jour ou noyée dans l’obscur, livrée aux ténèbres intimes puis rendue à l’allégresse qui surgit d’un printemps précoce, d’un parfum entêtant de lilas, de seringa, de glycine. Poreuse.
J’écris pour dénoncer, protester, prêter voix aux muets méprisés. En quête ardente et soutenue du mot juste. J’écris contre le chaos, l’informe et le confus; signature dérisoire au bas du texte, du fragment tissé dans la trame. Contre l’absence, le dérisoire et l’amnésie, je creuse et j’édifie, je capture, je captive; j’enregistre, je transcris et je célèbre. Je rature et je réécris. Palimpseste, grimoire, brûlot.
Aiguisée par d’autres plumes, imperturbables et solitaires, la mienne trace une trajectoire tantôt laborieuse, tantôt vive. Issue de haute enfance, barbouillée de lait, blanchie de craie studieuse, mon écriture a grandi sous les branches maîtresses, exploré les fondrières et niché sous les combles.
Elle a mêlé son corps à d’autres : argiles pétries aux formes changeantes. Métamorphoses. Elle a échangé salive, glaire, sperme et sang. Engendrée, elle a passé vie à son tour. Elle a pâti et ri sous les caresses, les insultes, les oublis, les éloignements.
Ecriture familière, étrangère, elle ira jusqu’au bout du risque, jusqu’à vieillir et mourir, s’effacer, rentrer au couvert du texte universel comme on pose ses bagages sur le seuil de la maison nourricière.”
Colette Nys-Mazure
Prose pour les errants
“Sans feu ni lieu
Sans foi ni loi répliquent les hypocrites
Sans cave ni grenier
Sans toit ni porte
Sans chaise ni table
Sans lit et sans fenêtre
Sans rien
mais comment vivre
J’écris pour tous les sans logis, les va-nu-pieds,
les trimardeurs, les vagabonds, les traine-savates,
les chemineaux et les clodos,
pour tous les Benoît-Labre.
Il y avait naguère toujours jadis la part du pauvre,
l’écuelle au bas bout de la table, la porte ouverte,
la paille pour l’étranger.
Je crie pour tous les déplacés, déracinés, déportés,
les zoulous, les aztèques, les indiens, les cajuns,
les gens du grand déménagement
Je me souviens de l’an 40
Juin rayonnait sur les blés bleus
Et sue les routes on mourait à foison
Je connais bien les rites des vandales
Les coups de crosse dans les vitres et le brandon
Jeté sur le plancher et le feu comme une vipère qui court
Et la clameur quand les poutres s’effondrent.
J’écris pour les fuyards, les Afghans dans l’anfractuosité
de la montagne, les Iraniens saignés aux quatre membres,
les Vietnamiens accrochés au bordage, les Juifs dans les ghettos,
les pauvres Noirs écorchés par les chiens, les enfants d’Argentine
arrêtés dans le petit matin blême, tous les incarcérés
des goulags dans la neige.
J’écris pour les fils et les filles du vent, tziganes,manouches,
gitans, gypsies, zingari jetés hors des verdines vertes et qu’on parque.
Ecoutez piétiner les troupeaux des errants
Comme un tambour roulant avant l’appel des morts.
Ah croyez-moi, la peste fait tache sur le monde !
Quand les chiens faméliques sans niche et sans coussin
aboient à la lune
hurlent à la mort
Il ne faut pas dormir tranquille.
Je crie pour tous les Emmaüs
pour qu’on donne à chacun
son toit, sa hutte, sa natte, son coin,
sa part de feu
Mais qui écoute et qui entend ?”
Yves Cosson, Nantes 1992
Quand l’amour prend corps
“Il n’est pas d’amour qui ne prenne corps
dans le quotidien de nos vies
de jour ou ne nuit
à l’écoute de la nature
comme autant de nourriture
à l’écoute des êtres et des évènements
où s’enracinent nos engagements
« Tout ceci est mon corps »
L’amour prend corps
dans le cœur à cœur si fragile
et le corps à corps où se dit d’indicible
L’amour prend corps dans la fleur
qui s’offre à nos regards avec humilité
Offerte ! Signe d’amitié, de fraternité
L’amour prend corps dès l’aube
dans les gouttes de rosée
scintillantes comme des perles dorées
L’amour prend corps
dans le concert des oiseaux
et le murmure des ruisseaux
Le poète, le musicien
Le sculpteur, le plasticien
Artisans de créativité
Révèlent des réalités cachées
Redonnent à l’homme beauté et dignité
Béni soit le temps qui nous est donné
pour faire corps main dans la main
aujourd’hui et demain
Evoquant le passé
Où fut semé le bon grain
Savourant le passé
où l’on sème à tous vents
Envisageant l’avenir avec sérénité
Puis u’il nous est donné
la force de résister ensemble
dans la précarité de nos existences
Puisqu’il nous est donné
de croire en la vie, d’espérer, d’aimer
Hôtes de passage
Le temps d’un voyage”
Augustin Lebreton
L’autre
“Si tu ouvres la main
Comme on cueille un fruit
Si tu ouvres tes bras
Comme on accueille un enfant
Si tu ouvres ton cœur
Comme on ouvre sa porte
Si tu fais un pas vers l’autre
Deux pas s’il le faut
Si tu t’arrêtes quand il s’arrête
Si tu repars quand il repart
Si tu écoutes l’autre
Si tu laisses tomber sa parole
En toi, au plus profond
Si tu découvres la nouveauté de l’autre
Sa fraîcheur toujours nouvelle
Si tu te mets dans la peau de l’autre
Si tu éprouves ses joies et ses peines
Ses espoirs et ses luttes
Si tu mets en commun
Ta part de vérité avec la sienne
Si ton regard s’arrête
Sur le blessé de la vie
Si tu es convaincu
Qu’il n’y a d’étranger que toi
Si tu sors de « ta »propriété
De « tes »murs
Si tu es capable
De brûler ce que tu as adoré
Si tu es capable enfin
D’accepter d’échouer
Dans cette vaste entreprise
Tu construis l’homme
En toi
Autour de toi”
Augustin Lebreton, 1er janvier 1998
Le mot
“Le mot est clé de tout, de rien,
Ôtez le thé, reste la table,
Un nuage de lait, un cendrier,
Des papotages.
Ôtez l’eau, pourquoi ces jeux d’un soir
De l’été attendri,
La vasque ou le bassin
Suinte l’ennui dans un jour vide,
Vacances, poissons rouges, régates,
Virevolte des premières feuilles mortes
Dans le jardin des Plantes déserté.
L’heure tressaute à saint-Clément,
La clé du garde grince et c’est fini.
Sans thé, sans eau, le mot vaut-il encore
Qu’on l’aime, à la lettre première ?
Viens mon cœur, sur le banc des soupirs
Nous sommes côte à côte, sans mot dire,
Le silence ignore l’alphabet
A l’école des anges qui passent
Par rang de quatre ou six
Toujours pairs pour l’harmonie
De la parade,
Main dans la main
Restons très dignes
Et toujours fous
C’est le mot
De la fin.”
Yves Cosson, Nantes 1960
Le poète et l’amour
Regard d’amour
« La beauté du regard vient d’une lumière qui sourd de la profondeur de l’Être». François Cheng
Ton regard d’amour
c’est le soleil qui luit
et réchauffe chaque instant de ma vie
Ton regard d’amour
c’est le sourire de l’enfant émerveillé
que la vie n’a pas blessé
Ton regard d’amour
c’est la graine semée
qui germe et déploie ses branches
vers le ciel étoilé
Ton regard d’amour
c’est le rayon de lumière
qui éclaire la perle cachée
au sein d’un monde enténébré
Ton regard d’amour
c’est, au coeur de l’univers, le levain
qui transfigure les rêves humains
Ton regard d’amour
c’est la lumière et la chaleur du soleil
qui tirent la terre de son sommeil
Ton regard d’amour
c’est le souffle de l’Esprit
qui libère les énergies
Ton regard d’amour
c’est le baiser sur les lèvres posé
qui suspend le temps
et donne goût d’éternité
Ton regard d’amour
c’est la tendresse
répandue avec largesse
Ton regard d’amour
c’est le sublime instant
où, les yeux fermés,
je demeure en toi,
tu demeures en moi
Ton regard d’amour
c’est l’unique instant
où retentit la voix de Dieu
« Ils ne sont plus deux »
Augustin Lebreton, 6 novembre 2001
La tendresse
“Au cœur de ma détresse
J’accueille cette tendresse
L’accueillir
Un vrai plaisir
Je vole dans la nuit
Je deviens qui je suis
Soudain des chaînes
Me retiennent
Une lutte effrénée s’engage
En mon cœur fait rage
Tant d’amour exprimé
Un bonheur insoupçonné
Une force m’envahit
Une paix m’irradie
Cette lueur jaillie
Cette fleur cueillie
Un nouvel aujourd’hui
Ô tendresse bien-aimée
Sois ma liberté !”
Augustin Lebreton
De passage
“Comme l’oiseau de son aile
effleure le cristal
Aussi rapide qu’un souffle
s’écoule notre vie
Aventure d’ombres et de lumières
entremêlées
livrées au fil de l’histoire
ou de l’oubli
Trésor de mémoire
ou poussière d’étoiles
Qui pourrait démêler cet enchevêtrement ?
Laissez-moi faire ! dit Dieu !”
Augustin Lebreton
Les brèches
“Apportée par le vent ou l’aile d’un oiseau
Dans les fissures du mur lézardé
Une fleur a germé
Gisant comme des morts
Les arbres déchiquetés par la tempête
regardent les jeunes pousses
se frayer un chemin
Dans les craquelures de la terre
brûlée par le soleil,
un brin d’herbe vous salue
Sur l’écorce de la branche stérile
Il ne reste que la cicatrice
La greffe laisse monter la sève
Qui demain gonflera le fruit
Du coeur transpercé par l’épée,
l’abandon, le mépris, la haine,
coulent l’eau et le sang.
Présent d’éternité.
Blessures salvatrices
Quand se fracturent nos certitudes
Proche est la renaissance
Sous la chaleur de la tendresse
Comme le grain de blé
enveloppé de la terre nourricière
D’une brèche offerte
– ô miracle de la vie –
L’enfant paraît
La terre tremble
Le voile du Temple se déchire
Les rochers se fendent
Comme un éclat de rire
La vie resurgit”
Augustin Lebreton
Paludiers de la nuit
“Pour ma femme
Le jour bascule dans l’étier
Un pic-vert y picore l’écorce du silence
Un coup trois coups la nuit
Un sautillant battement d’ailes
La crécelle des rêves en place
Sur l’échafaud du sommeil
Ton corps déjà se glisse au pli de son repos
La chair délace sa sandale
Liens rompus en pain de communion
Ah ! Rutilant voyage sans escale
En toi pourquoi ne pouvoir me dissoudre
Chapeaux de clown aveuglés de saumure
Au long des marais du salut
Mais ton visage voilé de paix
Mais tes mains bayadères
De la danse sacrée
Subtile insaisissable
Lumière attardée aux râteaux des paluds
Le soleil des saisons dessèchera ma chair
Pour t’absorber enfin
Âme autre âme moi
Craquelée de désir.”
Yves Cosson, Guérande, 1952
Le trésor et la vie
“Si l’amour est le trésor de ta vie
Tu l’accueilleras
comme un don du ciel et de la terre
Il te guidera vers les sommets
La montagne, les bras ouverts,
t’offrira son silence
L’arbre de la forêt au rythme de tes pas
te dira ses secrets
Le murmure de la source se fera l’écho
de l’humanité en quête de sens
Insondable mystère
de la nature et des êtres
Si l’amour est le trésor de ta vie
Comme le matelot au coeur de la tempête
tu épouseras la violence des vagues
Dans les chemins escarpés
tu ne heurteras pas la pierre
où sommeillent le cobra et la vipère
Si l’amour est le trésor de ta vie
Tu creuseras patiemment ton sillon
au milieu des pierres et des chardons
Au coeur de la citadelle des certitudes
tu traceras mille sentiers nouveaux
Si l’amour est le trésor de ta vie
Tu verras la main de l’homme
dessiner l’invisible
et l’homme naître
de la pierre et du marbre
Si l’amour est le trésor de ta vie
La symphonie des cuivres et des cordes
t’ouvrira la porte d’un monde nouveau”
Augustin Lebreton
Le poète et la spiritualité
Le poème
“1
Les arbres chaque jour
A l’horloge de mon poème
Je remonte le mouvement
Du règne végétal.
2
Les arbres écrire
Dans le désert originel
Là où peut-être
Naîtrait la forêt.
3
Les arbres en planter
Chaque jour sur la terre
Ingrate mal famée
Le sol aride du poème.
4
Les arbres je ne voudrais pas
Que du solennel avec humilité
Le poème aligne aussi ses haies
Anonymes vives au ras du sol.
5
Les arbres le poème
Ne veut rien peindre
Ni davantage émouvoir
Mais atteindre leur vérité.
6
Les arbres c’est la parole
Qui les crée la poésie
Naît de la source même
Où s’abreuve toute racine.
7
Les arbres tous les mots
Qu’il faut franchement élaguer
Pour que comme une haie
Le poème nous dise le chemin.
8
Les arbres les vents
Ont brisé les branches
Du verger d’enfance
Jetant le poème à terre.
9
Les arbres traqué
Le poème suit sa laie
Sous le couvert
D’un dernier cri.
10
Les arbres comme eux
Le poème naît invisible
Fils de la chute et fruit
De l’humble ensevelissement.
11
Les arbres leur paysage véritable
N’est pas je crois celui du monde
Mais plutôt celui ô combien
Plus habitable du poème qui croît.
12
Les arbres dans la tempête
Le poème c’est l’instant
Battu de pluies nocturnes
Où rompt d’un coup l’apparent.
13
Les arbres et l’avènement
Certains jours le poème attend
Qu’enfin vous veniez à lui
Avec la force de ce qui est.
14
Les arbres à tout hasard
Bornant la route du poème
Comme si les oiseaux de parole
Devaient passer entre ces branches.
15
Les arbres comme eux
Ecrire avec des mains
De givre un poème
Que boit le soleil.
Les arbres simple
Buée les mots
Que le jour éveille
Sur des lèvres en feu.
16
Les arbres tu dis
Que je veux planter
La forêt du poème
Pour les déracinés.
Les arbres la sève
De la mort même
Puis-je l’élever
Jusqu’au ciel ?
17
Les arbres d’un cœur
Gravé dans l’écorce
Vieille du poème là
Où jamais mot ne fut.
Les arbres percé
De quelle flèche ce naïf
Serment de parole
Accroché au fût de silence.
18
Les arbres la forêt
Ne me doit rien
Ecrire c’est vouloir
Croître à sa mesure.
Les arbres la forêt
Me donne tout
Le poème sans trêve
Elève mon cœur.
Les arbres devenus forêt
A jamais tous mes poèmes
Cachent l’arbre perdu
Le premier émerveillement.
Les arbres mon poème
Ne sait pas grandir seul
Il faut à ses quelques ramures
L’ombre d’une immense futaie.
19
Les arbres le verger
N’est en somme
Qu’un petit poème
Plus ou moins rimé.
Les arbres la forêt
N’est en somme
Que le poème rêvé
Toujours insaisissable.
20
Forêt domaniale avec cabane
Les arbres mon poème
Est une cabane d’enfant
Qu’en restera-t-il
Quand soufflera le vent ?
Les arbres un jour
On passera par là
Piétinant les branchages
Du poème à terre.
21
Sentier tracé par le poème
Les arbres un layon
Dans le morne jour
Voilà peut-être
Toute ma poésie.
Les arbres qui marche
Là un promeneur falot
L’esprit borné ne voit rien
Que la trace rectiligne.
Les arbres c’est vous
Bien sûr le vrai poème
Tous les inaperçus
La forêt pure.
22
Les arbres pourquoi
Les forêts informes
Reviennent-elles
Dans le poème ?
Les arbres pourquoi
Jusque dans le vain
Ces visites nocturnes
Du trop enfoui ?
Les arbres suis-je
L’homme qui peut
Serrer de mots
Les racines brûlées ?
23
Les arbres de poème
En poème bien sûr
Je les épuise mais
Ils refont surface.
Les arbres toujours
Derrière le dernier mot
Ils ne peuvent s’empêcher
De tourner ma page.
Les arbres alors oui
J’avoue que le poème
Devra puiser encore
Dans leurs racines.
24
Les arbres ce que j’appelle ainsi
Non sans abus de langage
C’est une sorte de feu qui couve
Sous le réel au ras des mots.
Les arbres ce que j’appelle ainsi
Se dégage à grand peine de l’emprise
Du poème une gangue
Champ clos où se rebelle la parole.
Les arbres ce que j’appelle ainsi
En attendant ce qui demeure
C’est à la fois ce qui ne bouge pas
Et le mouvement même du temps.
Les arbres ce que j’appelle ainsi
Ne figure sur aucune carte
D’une telle forêt il n’y a rien
Que l’on puisse vraiment dire.
25
Les arbres mystérieusement
Sous le couvert du poème
Poussent chétifs imprévus
D’autres poèmes à l’infini.
26
Les arbres fragiles
Sous la très fine neige
Venez vous réfugier
Dans les bras du poème.”
Jean-Pierre Denis
Chanson pour un matin de Pâques
“Mes enfants sont dans les arbres.
J’ai ouvert la cage.
La maison respire dans la lumière
et le soleil pénètre par la porte
qui ouvre les bras.
La poussière chante dans les rayons obliques
de ce matin léger.
Le Seigneur s’est introduit dans ma maison
et Il s’est assis : comme il fait bon chez toi !
Je travaillais, je ne L’avais pas vu entrer…
Alors j’ai posé mon ouvrage
et je me suis assise près de Lui
Et j’ai regardé avec Lui l’éclat de ce jour.”
Colette Nys-Mazure
Entre terre et ciel
“Entre terre et ciel
funambule
craignant le vide
la chute
en équilibre
fragile
l’homme.
Fatigué décharné dépouillé
mais debout et libre
découragé assoiffé bouleversé
mais vivant
il avance répond encore à l’appel.
Pour un partage
tendre le cœur
ouvrir les yeux
donner et recevoir
dans la simplicité
d’une vie offerte.
Dans le vacarme des villes
et la vacance du temps
trop de visages
trop de solitude
chaque jour pourtant
souffle le mystère
pour tous
l’énigme d’être là
la bougie vacille
comme un rituel profane
pour habiter le monde.
Souffle léger
d’une caresse fragile
dans la transparence du jour
la vie se révèle
dans la minute qui passe.
Sur le seuil de la porte
la profondeur lumineuse
du mystère
comme un point d’orgue
la Présence
depuis des temps immémoriaux
le ciel couvre nos pas
de son manteau d’éternité.
Joie et beauté
quand se manifeste
au cœur de la nuit
du vide
la Présence.
En plein cœur le silence et la solitude
Plus grand est le mystère
Notre vie suspendue à la Rencontre
De la finitude à l’éternité.
À l’ombre de l’arbre
se laisser visiter
les yeux ouverts sur notre nudité
Chaque aube dans la fulgurance
d’un désir premier
retient les mots bleus
Devant la toile blanche
croire au plus beau des mystères.
Clair-obscur
l’âme est tremblante
à la frontière de l’invisible
dans la transparence du jour
une étincelle d’éternité.
Dans la lumière du jour naissant
miracle de l’abandon
étancher sa soif
au plus profond
du mystère.
Le coucher du soleil
dévoile le ciel étoilé
promesse du souffle
ses pétales déposés sur le chemin
la rose offre son parfum
le souvenir de sa beauté
caresse notre regard.
Comme les fleurs du cerisier
subtiles fragiles
à peine entrevues
la vie passe dans l’éblouissement
d’une pluie de pétales
aux essences évanouies
la fleur se fane
son souvenir enivre
un oiseau est passé
au cœur son chant nous reste.
Voile de brume suspendu
A la cime des arbres
Don de fraîcheur
La terre est en attente.
Une rose de décembre
aux essences évanouies
éclat lumineux
dans le jardin.”
Ghislaine Lejard (Extraits du recueil Si brève l’éclaircie)
Gerbe de semences
“S’il te vient à l’esprit une pensée
lumineuse comme le soleil
claire comme l’eau de la roche
sème-la à pleines mains !
S’il te vient à l’esprit une pensée
profonde comme la mer
fulgurante comme l’éclair
sème-la à pleines mains !
S’il te vient à l’esprit une pensée
brûlante comme le feu
enivrante comme l’extase
sème-la à pleines mains !
S’il te vient à l’esprit une pensée
qui se dit dans un profond silence
sème-la à pleines mains !
Sème patiemment
Sème avec discernement
à temps et à contretemps !
La moisson viendra en son temps.
Le monde a soif de lumière
de clarté
de beauté.”
Augustin Lebreton