La méditation poétique de Jean-Marie Lorvellec

Chaque matin, après le petit-déjeuner et avant le fil rouge, les 300 inscrits à l’université d’été étaient invités à un moment de méditation.
Ces méditations ont pris une forme différente chaque jour, elle fut poétique le mercredi matin, animée par le comédien Jean-Marie Lorvellec et a particulièrement touchée les participants.
Voici les différents textes lus à cette occasion. 

Méditation poétique du mercredi matin avec Jean-Marie Lorvellec. © Michel Gasarian/Signatures
Jean-Marie Lorvellec. © Michel Gasarian/Signatures

La médiation a été dédiée au Père Augustin Lebreton, en témoigne l’introduction de René Martin.

“C’est sa voix qui fait écho à la simplicité de la vie …aux douleurs des hommes comme à leurs grandeurs.

Chaque poème est une image vraie, minutieusement vraie qui aime l’homme et l’accompagne vers Dieu.

Lui qui sait si bien regarder, si bien écouter.

La poésie d’Augustin, c’est lui.”

 

L’acte d’écrire

La Poésie naît du silence

“La Poésie naît du silence et retourne au silence :

Elle est un entre-deux qui s’ouvre sur les abîmes de l’être et tente d’en explorer les profondeurs.

Le poète accomplit l’exercice périlleux qui consiste à côtoyer les régions mortelles de la souffrance, du Mal et de la Mort et d’y saisir les paroles qui sauvent et qui délivrent.

Alors, monte en lui la louange, avant que s’accomplisse à travers le grand combat, la plénitude de la Vie qui est grâce indicible et ineffable.”

Yves Cosson

 

La cuisine du poète

“Dans la cuisine nocturne, sous le néon cru et bourdonnant, tu ne verras rien qu’une femme à l’écriture.

Elle a repoussé une assiette, trois verres, les reliefs d’un repas et rafraîchi la place de son cahier.

Au-dehors il se peut que le vent tournoie et terrifie, que des paquets de pluie se plaquent au béton aveuglé ; sans doute la neige mûrit-elle sous le froid, les étoiles deviennent-elles piquantes ; à moins que l’immonde ténèbre n’enserre l’univers dans sa poigne acérée.

Elle penche la tête comme ceux qui souffrent ou réfléchissent mais, sous le crayon courant entre les lignes, tu pourrais, tapi derrière elle, surprendre l’écume des vagues, quelque visage caressé, un arbre que l’été foudroie, le récit de ta propre peur.

Avec ses mots agiles, elle saisit la vie à la gorge pour lui faire rendre âme et images, la sorcière.

Ce n’est qu’une femme occupée à tailler une large tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours.”

Colette Nys-Mazure

 

Pourquoi écrire? Le poète et l’engagement

Ecrire

“Dans ce temps parcimonieusement compté, j’écris par tous les temps, les autans, livrée aux quatre éléments. Echevelée sous la pluie ou les doigts engourdis, la peau brûlée ou le front aux vitres. Assise au bord du jour ou noyée dans l’obscur, livrée aux ténèbres intimes puis rendue à l’allégresse qui surgit d’un printemps précoce, d’un parfum entêtant de lilas, de seringa, de glycine. Poreuse.

J’écris pour dénoncer, protester, prêter voix aux muets méprisés. En quête ardente et soutenue du mot juste. J’écris contre le chaos, l’informe et le confus; signature dérisoire au bas du texte, du fragment tissé dans la trame. Contre l’absence, le dérisoire et l’amnésie, je creuse et j’édifie, je capture, je captive; j’enregistre, je transcris et je célèbre. Je rature et je réécris. Palimpseste, grimoire, brûlot.

Aiguisée par d’autres plumes, imperturbables et solitaires, la mienne trace une trajectoire tantôt laborieuse, tantôt vive. Issue de haute enfance, barbouillée de lait, blanchie de craie studieuse, mon écriture a grandi sous les branches maîtresses, exploré les fondrières et niché sous les combles.

Elle a mêlé son corps à d’autres : argiles pétries aux formes changeantes. Métamorphoses. Elle a échangé salive, glaire, sperme et sang. Engendrée, elle a passé vie à son tour. Elle a pâti et ri sous les caresses, les insultes, les oublis, les éloignements.

Ecriture familière, étrangère, elle ira jusqu’au bout du risque, jusqu’à vieillir et mourir, s’effacer, rentrer au couvert du texte universel comme on pose ses bagages sur le seuil de la maison nourricière.”

Colette Nys-Mazure

 

Prose pour les errants

“Sans feu ni lieu

Sans foi ni loi répliquent les hypocrites

Sans cave ni grenier

Sans toit ni porte

Sans chaise ni table

Sans lit et sans fenêtre

Sans rien

mais comment vivre

 

J’écris pour tous les sans logis, les va-nu-pieds,

les trimardeurs, les vagabonds, les traine-savates,

les chemineaux et les clodos,

pour tous les Benoît-Labre.

Il y avait naguère toujours jadis la part du pauvre,

l’écuelle au bas bout de la table, la porte ouverte,

la paille pour l’étranger.

Je crie pour tous les déplacés, déracinés, déportés,

les zoulous, les aztèques, les indiens, les cajuns,

les gens du grand déménagement

 

Je me souviens de l’an 40

Juin rayonnait sur les blés bleus

Et sue les routes on mourait à foison

Je connais bien les rites des vandales

Les coups de crosse dans les vitres et le brandon

Jeté sur le plancher et le feu comme une vipère qui court

Et la clameur quand les poutres s’effondrent.

 

J’écris pour les fuyards, les Afghans dans l’anfractuosité

de la montagne, les Iraniens saignés aux quatre membres,

les Vietnamiens accrochés au bordage, les Juifs dans les ghettos,

les pauvres Noirs écorchés par les chiens, les enfants d’Argentine

arrêtés dans le petit matin blême, tous les incarcérés

des goulags dans la neige.

 

J’écris pour les fils et les filles du vent, tziganes,manouches,

gitans, gypsies, zingari jetés hors des verdines vertes et qu’on parque.

Ecoutez piétiner les troupeaux des errants

Comme un tambour roulant avant l’appel des morts.

Ah croyez-moi, la peste fait tache sur le monde !

Quand les chiens faméliques sans niche et sans coussin

                                                                     aboient à la lune

                                                                     hurlent à la mort

Il ne faut pas dormir tranquille.

 

Je crie pour tous les Emmaüs

                                                                     pour qu’on donne à chacun

                                                                     son toit, sa hutte, sa natte, son coin,

                                                                     sa part de feu

 

Mais qui écoute et qui entend ?”

Yves Cosson, Nantes 1992

 

Quand l’amour prend corps

“Il n’est pas d’amour qui ne prenne corps

dans le quotidien de nos vies

de jour ou ne nuit

à l’écoute de la nature

comme autant de nourriture

à l’écoute des êtres et des évènements

où s’enracinent nos engagements

 

« Tout ceci est mon corps »

 

L’amour prend corps

dans le cœur à cœur si fragile

et le corps à corps où se dit d’indicible

 

L’amour prend corps dans la fleur

qui s’offre à nos regards avec humilité

Offerte ! Signe d’amitié, de fraternité

 

L’amour prend corps dès l’aube

dans les gouttes de rosée

scintillantes comme des perles dorées

 

L’amour prend corps

dans le concert des oiseaux

et le murmure des ruisseaux

 

Le poète, le musicien

Le sculpteur, le plasticien

Artisans de créativité

Révèlent des réalités cachées

Redonnent à l’homme beauté et dignité

 

Béni soit le temps qui nous est donné

pour faire corps main dans la main

aujourd’hui et demain

 

Evoquant le passé

Où fut semé le bon grain

 

Savourant le passé

où l’on sème à tous vents

 

Envisageant l’avenir avec sérénité

Puis u’il nous est donné

la force de résister ensemble

dans la précarité de nos existences

Puisqu’il nous est donné

de croire en la vie, d’espérer, d’aimer

 

Hôtes de passage

Le temps d’un voyage”

Augustin Lebreton 

 

L’autre

“Si tu ouvres la main

Comme on cueille un fruit

 

Si tu ouvres tes bras

Comme on accueille un enfant

 

Si tu ouvres ton cœur

Comme on ouvre sa porte

 

Si tu fais un pas vers l’autre

Deux pas s’il le faut

 

Si tu t’arrêtes quand il s’arrête

Si tu repars quand il repart

 

Si tu écoutes l’autre

Si tu laisses tomber sa parole

En toi, au plus profond

 

Si tu découvres la nouveauté de l’autre

Sa fraîcheur toujours nouvelle

 

Si tu te mets dans la peau de l’autre

Si tu éprouves ses joies et ses peines

Ses espoirs et ses luttes

 

Si tu mets en commun

Ta part de vérité avec la sienne

 

Si ton regard s’arrête

Sur le blessé de la vie

 

Si tu es convaincu

Qu’il n’y a d’étranger que toi

 

Si tu sors de « ta »propriété

De « tes »murs

 

Si tu es capable

De brûler ce que tu as adoré

 

Si tu es capable enfin

D’accepter d’échouer

Dans cette vaste entreprise

 

Tu construis l’homme

En toi

Autour de toi”

Augustin Lebreton, 1er janvier 1998

 

Le mot

“Le mot est clé de tout, de rien,

Ôtez le thé, reste la table,

Un nuage de lait, un cendrier,

Des papotages.

 

Ôtez l’eau, pourquoi ces jeux d’un soir

De l’été attendri,

La vasque ou le bassin

Suinte l’ennui dans un jour vide,

Vacances, poissons rouges, régates,

Virevolte des premières feuilles mortes

Dans le jardin des Plantes déserté.

L’heure tressaute à saint-Clément,

La clé du garde grince et c’est fini.

Sans thé, sans eau, le mot vaut-il encore

Qu’on l’aime, à la lettre première ?

Viens mon cœur, sur le banc des soupirs

Nous sommes côte à côte, sans mot dire,

Le silence ignore l’alphabet

A l’école des anges qui passent

Par rang de quatre ou six

Toujours pairs pour l’harmonie

De la parade,

Main dans la main

Restons très dignes

Et toujours fous

 

C’est le mot

De la fin.”

Yves Cosson, Nantes 1960

 

Le poète et l’amour

Regard d’amour

« La beauté du regard vient d’une lumière qui sourd de la profondeur de l’Être». François Cheng

Ton regard d’amour

c’est le soleil qui luit

et réchauffe chaque instant de ma vie

 

Ton regard d’amour

c’est le sourire de l’enfant émerveillé

que la vie n’a pas blessé

 

Ton regard d’amour

c’est la graine semée

qui germe et déploie ses branches

vers le ciel étoilé

 

Ton regard d’amour

c’est le rayon de lumière

qui éclaire la perle cachée

au sein d’un monde enténébré

 

Ton regard d’amour

c’est, au coeur de l’univers, le levain

qui transfigure les rêves humains

 

Ton regard d’amour

c’est la lumière et la chaleur du soleil

qui tirent la terre de son sommeil

 

Ton regard d’amour

c’est le souffle de l’Esprit

qui libère les énergies

 

Ton regard d’amour

c’est le baiser sur les lèvres posé

qui suspend le temps

et donne goût d’éternité

 

Ton regard d’amour

c’est la tendresse

répandue avec largesse

 

Ton regard d’amour

c’est le sublime instant

où, les yeux fermés,

je demeure en toi,

tu demeures en moi

 

Ton regard d’amour

c’est l’unique instant

où retentit la voix de Dieu

« Ils ne sont plus deux »

Augustin Lebreton, 6 novembre 2001          

 

La tendresse

“Au cœur de ma détresse

J’accueille cette tendresse

 

L’accueillir

Un vrai plaisir

 

Je vole dans la nuit

Je deviens qui je suis

 

Soudain des chaînes

Me retiennent

 

Une lutte effrénée s’engage

En mon cœur fait rage

 

Tant d’amour exprimé

Un bonheur insoupçonné

 

Une force m’envahit

Une paix m’irradie

 

Cette lueur jaillie

Cette fleur cueillie

Un nouvel aujourd’hui

 

Ô tendresse bien-aimée

Sois ma liberté !”

Augustin Lebreton

 

De passage

“Comme l’oiseau de son aile

effleure le cristal

 

Aussi rapide qu’un souffle

s’écoule notre vie

 

Aventure d’ombres et de lumières

entremêlées

livrées au fil de l’histoire

ou de l’oubli

 

Trésor de mémoire

ou poussière d’étoiles

 

Qui pourrait démêler cet enchevêtrement ?

 

Laissez-moi faire ! dit Dieu !”

Augustin Lebreton

 

Les brèches

“Apportée par le vent ou l’aile d’un oiseau

Dans les fissures du mur lézardé

Une fleur a germé

 

Gisant comme des morts

Les arbres déchiquetés par la tempête

regardent les jeunes pousses

se frayer un chemin

 

Dans les craquelures de la terre

brûlée par le soleil,

un brin d’herbe vous salue

 

Sur l’écorce de la branche stérile

Il ne reste que la cicatrice

La greffe laisse monter la sève

Qui demain gonflera le fruit

 

Du coeur transpercé par l’épée,

l’abandon, le mépris, la haine,

coulent l’eau et le sang.

Présent d’éternité.

 

Blessures salvatrices

Quand se fracturent nos certitudes

Proche est la renaissance

 

Sous la chaleur de la tendresse

Comme le grain de blé

enveloppé de la terre nourricière

D’une brèche offerte

– ô miracle de la vie –

L’enfant paraît

 

La terre tremble

Le voile du Temple se déchire

Les rochers se fendent

Comme un éclat de rire

La vie resurgit”

Augustin Lebreton

 

Paludiers de la nuit

   “Pour ma femme

Le jour bascule dans l’étier

Un pic-vert y picore l’écorce du silence

Un coup trois coups la nuit

Un sautillant battement d’ailes

La crécelle des rêves en place

Sur l’échafaud du sommeil

Ton corps déjà se glisse au pli de son repos

La chair délace sa sandale

Liens rompus en pain de communion

Ah ! Rutilant voyage sans escale

En toi pourquoi ne pouvoir me dissoudre

Chapeaux de clown aveuglés de saumure

Au long des marais du salut

Mais ton visage voilé de paix

Mais tes mains bayadères

De la danse sacrée

Subtile insaisissable

Lumière attardée aux râteaux des paluds

Le soleil des saisons dessèchera ma chair

Pour t’absorber enfin

Âme autre âme moi

Craquelée de désir.”

Yves Cosson, Guérande, 1952              

 

Le trésor et la vie        

 “Si l’amour est le trésor de ta vie

 

                                                                     Tu l’accueilleras

                                                                     comme un don du ciel et de la terre

                                                                     Il te guidera vers les sommets

 

                                                                     La montagne, les bras ouverts,

                                                                     t’offrira son silence

 

                                                                     L’arbre de la forêt au rythme de tes pas

                                                                     te dira ses secrets

 

                                                                     Le murmure de la source se fera l’écho

                                                                     de l’humanité en quête de sens

 

                                                                     Insondable mystère

                                                                     de la nature et des êtres

 

                                                   Si l’amour est le trésor de ta vie

 

                                                                     Comme le matelot au coeur de la tempête

                                                                     tu épouseras la violence des vagues

 

                                                                     Dans les chemins escarpés

                                                                     tu ne heurteras pas la pierre

                                                                     où sommeillent le cobra et la vipère

 

                                                   Si l’amour est le trésor de ta vie

 

                                                                     Tu creuseras patiemment ton sillon

                                                                     au milieu des pierres et des chardons

 

                                                                     Au coeur de la citadelle des certitudes

                                                                     tu traceras mille sentiers nouveaux

 

                                                   Si l’amour est le trésor de ta vie

 

                                                                     Tu verras la main de l’homme

                                                                     dessiner l’invisible

                                                                     et l’homme naître

                                                                     de la pierre et du marbre

 

                                                   Si l’amour est le trésor de ta vie

 

                                                                     La symphonie des cuivres et des cordes

                                                                     t’ouvrira la porte d’un monde nouveau”

Augustin Lebreton

 

Le poète et la spiritualité

Le poème

“1 

Les arbres     chaque jour

A l’horloge de mon poème

Je remonte le mouvement

Du règne végétal.

Les arbres   écrire

Dans le désert originel

Là où     peut-être

Naîtrait la forêt.

3

Les arbres     en planter

Chaque jour sur la terre

Ingrate     mal famée

Le sol aride du poème.

4

Les arbres     je ne voudrais pas

Que du solennel     avec humilité

Le poème aligne aussi ses haies

Anonymes   vives au ras du sol.

5

Les arbres     le poème

Ne veut rien peindre

Ni davantage émouvoir

Mais atteindre leur vérité.

6

Les arbres     c’est la parole

Qui les crée     la poésie

Naît de la source même

Où s’abreuve toute racine.

7

Les arbres     tous les mots

Qu’il faut franchement élaguer

Pour que     comme une haie

Le poème nous dise le chemin.

8

Les arbres     les vents

Ont brisé les branches

Du verger d’enfance

Jetant le poème à terre.

9

Les arbres     traqué

Le poème suit sa laie

Sous le couvert

D’un dernier cri.

10

Les arbres     comme eux

Le poème naît invisible

Fils de la chute et fruit

De l’humble ensevelissement.

11

Les arbres     leur paysage véritable

N’est pas     je crois     celui du monde

Mais plutôt     celui     ô combien

Plus habitable     du poème qui croît.

12

Les arbres    dans la tempête

Le poème c’est l’instant

Battu de pluies nocturnes

Où rompt d’un coup l’apparent.

13

Les arbres     et l’avènement

Certains jours le poème attend

Qu’enfin vous veniez à lui

Avec la force de ce qui est.

14

Les arbres     à tout hasard

Bornant la route du poème

Comme si les oiseaux de parole

Devaient passer entre ces branches.

15

Les arbres     comme eux

Ecrire avec des mains

De givre un poème

Que boit le soleil.

Les arbres     simple

Buée les mots

Que le jour éveille

Sur des lèvres en feu.

16

Les arbres     tu dis

Que je veux planter

La forêt du poème

Pour les déracinés.

Les arbres     la sève

De la mort même

Puis-je l’élever

Jusqu’au ciel ?

17

Les arbres     d’un cœur

Gravé dans l’écorce

Vieille du poème là

Où jamais mot ne fut.

Les arbres     percé

De quelle flèche ce naïf

Serment de parole

Accroché au fût de silence.

18

Les arbres     la forêt

Ne me doit rien

Ecrire c’est vouloir

Croître à sa mesure.

Les arbres     la forêt

Me donne tout

Le poème sans trêve

Elève mon cœur.

Les arbres     devenus forêt

A jamais tous mes poèmes

Cachent l’arbre perdu

Le premier émerveillement.

Les arbres     mon poème

Ne sait pas grandir seul

Il faut à ses quelques ramures

L’ombre d’une immense futaie.

19

Les arbres     le verger

N’est en somme

Qu’un petit poème

Plus ou moins rimé.

Les arbres     la forêt

N’est en somme

Que le poème rêvé

Toujours insaisissable.

20

Forêt domaniale avec cabane

Les arbres     mon poème

Est une cabane d’enfant

Qu’en restera-t-il

Quand soufflera le vent ?

Les arbres     un jour

On passera par là

Piétinant les branchages

Du poème à terre.

21

Sentier tracé par le poème

Les arbres     un layon

Dans le morne jour

Voilà peut-être

Toute ma poésie.

Les arbres     qui marche

Là     un promeneur falot

L’esprit borné ne voit rien

Que la trace rectiligne.

Les arbres   c’est vous

Bien sûr le vrai poème

Tous les inaperçus

La forêt pure.

22

Les arbres     pourquoi

Les forêts informes

Reviennent-elles

Dans le poème ?

Les arbres     pourquoi

Jusque dans le vain

Ces visites nocturnes

Du trop enfoui ?

Les arbres     suis-je

L’homme qui peut

Serrer de mots

Les racines brûlées ?

23

Les arbres     de poème

En poème bien sûr

Je les épuise mais

Ils refont surface.

Les arbres     toujours

Derrière le dernier mot

Ils ne peuvent s’empêcher

De tourner ma page.

Les arbres   alors oui

J’avoue que le poème

Devra puiser encore

Dans leurs racines.

24

Les arbres     ce que j’appelle ainsi

Non sans abus de langage

C’est une sorte de feu qui couve

Sous le réel     au ras des mots.

Les arbres     ce que j’appelle ainsi

Se dégage à grand peine de l’emprise

Du poème     une gangue

Champ clos où se rebelle la parole.

Les arbres     ce que j’appelle ainsi

En attendant ce qui demeure

C’est à la fois ce qui ne bouge pas

Et le mouvement même du temps.

Les arbres     ce que j’appelle ainsi

Ne figure sur aucune carte

D’une telle forêt il n’y a rien

Que l’on puisse vraiment dire.

25

Les arbres     mystérieusement

Sous le couvert du poème

Poussent     chétifs imprévus

D’autres poèmes à l’infini.

26

Les arbres     fragiles

Sous la très fine neige

Venez vous réfugier

Dans les bras du poème.”

Jean-Pierre Denis  

 

Chanson pour un matin de Pâques

“Mes enfants sont dans les arbres.

J’ai ouvert la cage.

 

La maison respire dans la lumière

et le soleil pénètre par la porte

qui ouvre les bras.

 

La poussière chante dans les rayons obliques

de ce matin léger.

 

Le Seigneur s’est introduit dans ma maison

et Il s’est assis : comme il fait bon chez toi !

 

Je travaillais, je ne L’avais pas vu entrer…

 

Alors j’ai posé mon ouvrage

et je me suis assise près de Lui

Et j’ai regardé avec Lui l’éclat de ce jour.”

Colette Nys-Mazure

 

Entre terre et ciel    

“Entre terre et ciel

funambule

craignant le vide

la chute

en équilibre

fragile

l’homme.

 

Fatigué décharné dépouillé

mais debout et libre

découragé assoiffé bouleversé

mais vivant

il avance répond encore à l’appel.

 

Pour un partage

tendre le cœur

ouvrir les yeux

donner et recevoir

dans la simplicité

d’une vie offerte.

 

Dans le vacarme des villes

et la vacance du temps

trop de visages

trop de solitude

chaque jour pourtant

souffle le mystère

pour tous

l’énigme d’être là

la bougie vacille

comme un rituel profane

pour habiter le monde.

 

Souffle léger

d’une caresse fragile

dans la transparence du jour

la vie se révèle

dans la minute qui passe.

 

Sur le seuil de la porte

la profondeur lumineuse

du mystère

comme un point d’orgue

la Présence

depuis des temps immémoriaux

le ciel couvre nos pas

de son manteau d’éternité.

 

Joie et beauté

quand se manifeste

au cœur de la nuit

du vide

la Présence.

 

En plein cœur le silence et la solitude

Plus grand est le mystère

Notre vie suspendue à la Rencontre

De la finitude à l’éternité.

 

À l’ombre de l’arbre

se laisser visiter

les yeux ouverts sur notre nudité

 

Chaque aube dans la fulgurance

d’un désir premier

retient les mots bleus

 

Devant la toile blanche

croire au plus beau des mystères.

 

Clair-obscur

l’âme est tremblante

à la frontière de l’invisible

dans la transparence du jour

une étincelle d’éternité.

 

Dans la lumière du jour naissant

miracle de l’abandon

étancher sa soif

au plus profond

du mystère.

 

Le coucher du soleil

dévoile le ciel étoilé

promesse du souffle

ses pétales déposés sur le chemin

la rose offre son parfum

le souvenir de sa beauté

caresse notre regard.

 

Comme les fleurs du cerisier

subtiles fragiles

à peine entrevues

la vie passe dans l’éblouissement

d’une pluie de pétales

aux essences évanouies

la fleur se fane

son souvenir enivre

un oiseau est passé

au cœur son chant nous reste.

 

Voile de brume suspendu

A la cime des arbres

Don de fraîcheur

La terre est en attente.

 

Une rose de décembre

aux essences évanouies

éclat lumineux

dans le jardin.”

Ghislaine Lejard (Extraits du recueil Si brève l’éclaircie)

 

Gerbe de semences

“S’il te vient à l’esprit une pensée

lumineuse comme le soleil

claire comme l’eau de la roche

sème-la à pleines mains !

 

S’il te vient à l’esprit une pensée

profonde comme la mer

fulgurante comme l’éclair

sème-la à pleines mains !

 

S’il te vient à l’esprit une pensée

brûlante comme le feu

enivrante comme l’extase

sème-la à pleines mains !

 

S’il te vient à l’esprit une pensée

qui se dit dans un profond silence

sème-la à pleines mains !

 

Sème patiemment

Sème avec discernement

à temps et à contretemps !

 

La moisson viendra en son temps.

 

Le monde a soif de lumière

de clarté

de beauté.”

Augustin Lebreton