Chahina Baret, auteure de « Musulmane, disciple du Christ » (Fidélité-Éditions Jésuites, 2022) se livre sur sa spiritualité, sa quête de sens et sa perception de la croyance moderne. Rencontre et portrait.
par Ben Monnet
La prière, la récitation et le chant des Sourates : dès son plus jeune âge, Chahina Baret est baignée dans ces rites, transmis par son père, un mollah chiite. « C’est quelque chose qui scande ma vie depuis toujours. » A Madagascar puis sur l’Ile de la Réunion, elle grandit dans une famille indo-musulmane, mais toujours au contact d’autres cultures. A 15 ans, elle quitte sa terre d’origine pour Paris, seule. Et fréquente alors une aumônerie parisienne, un lieu avant tout d’accueil et de liberté selon elle. Petit à petit, elle apprend à connaître Jésus et son message, par le catholicisme. Baptisée par la suite, Chahina Baret développe une nouvelle posture de croyante. « C’est comme si tout ce que j’ai reçu avec l’Islam avait préparé le chemin du Christ. Dieu, je l’ai reçu dans l’islam, mais ce que le Christ m’a apporté m’a permis de donner un visage à ce Dieu ». Sa relation au Christ développe en elle une nouvelle façon de penser, de vivre. « Croire en quelque chose qui me dépasse et que j’appelle Dieu, c’est un moteur, c’est ce qui me permet de me remettre en marche. »
L’apprentissage et la compréhension du christianisme ne développent pas seulement une croyance ou l’appartenance à une religion pour Chahina Baret. « Aujourd’hui mon histoire musulmane s’est transformée dans les prières chrétiennes mais c’est plus une posture qui m’a été offerte, de toujours se dire « je t’offre ma journée ». De demander au Seigneur de me permettre de toujours prendre du temps pour les personnes autour de moi. »
La quête de sens
Chahina Baret s’intéresse au sens de la vie sur Terre ou au sens de la communauté, nécessaire dans sa vie avec Jésus. « Mes engagements sont liés à ce sens là. Le Christ nous a donné un style de vie, un art de vivre avec soi, avec les autres, en relation avec Dieu, qui nous permet de devenir de plus en plus humains. »
Ce qui se remarque tout de suite dans son visage, ce n’est pas son piercing, ses lunettes ou ses cheveux bouclés, c’est d’abord son large et sincère sourire, qui traduit son amour de l’autre. « Cette humanisation ne peut pas se faire sans lien, sans relation à autrui. La communauté peut permettre que chacun devienne complètement ce qu’il est appelé à être ». La spiritualité a permis à Chahina Baret de développer cette proximité aux autres et aux communautés dans lesquelles elle s’inscrit .
« Avoir des occasions de se parler, de vivre quelque chose ensemble »
Cependant, Chahina Baret sait bien que les relations ne sont pas toujours faciles et peuvent être sources de conflit. « Les regards et les paroles peuvent tuer comme faire grandir. » Face au mépris de la différence ou à l’instrumentalisation des religions, Chahina prône la rencontre, terreau fertile à l’entente collective. « La meilleure façon de dépasser ces conflits ou la peur de l’autre, c’est de se rencontrer, d’avoir des occasions de se parler, de vivre quelque chose ensemble ». Lui revient alors le souvenir d’un exemple concret de rencontre inter-culturelle et inter-religieuse, lors d’un mariage réunissant une famille juive et une famille musulmane. Ce jour-là, elle y a vu des personnes d’horizons différents se retrouver tous ensemble autour de danses traditionnelles juives, arabes, et des danses d’aujourd’hui. « Je regardais ça, et je me suis dit ” voilà l’avenir ! ”. Il n’y a rien d’intellectuel là-dedans. J’ai vu le père avec sa Kippa en train de danser avec la maman musulmane. Si on arrive à ça, je pense qu’on peut résister à toutes les peurs, et tout le côté bestial qu’on a en chacun de nous. »
« Aujourd’hui, je me bat tout autant pour qu’une femme obligée de porter le voile puisse l’enlever, que pour une femme qui veuille le porter puisse le faire librement »
Le parcours spirituel atypique de Chahina Baret lui offre une grande ouverture d’esprit quant à la diversité des croyances et le respect de celles-ci. Elle tient d’ailleurs à rappeler les termes employés par la déclaration du concile Vatican II (1965) : « l’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions [ qui ] reflètent souvent un rayon de vérité qui illumine tous les hommes. » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, je me bat tout autant pour qu’une femme obligée de porter le voile puisse l’enlever, que pour une femme qui veuille le porter puisse le faire librement ».
Une soif de liberté
Son avis est le même pour la messe, où la posture adoptée devrait selon elle correspondre au sens personnel donné par les individus. « Si c’est de vous agenouiller, de vous incliner, il faut que ce soit habité, il ne faut pas s’y plier parce qu’on vous a dit de le faire. Ce que je ne supporte pas, c’est que l’on demande à tout le monde de faire la même chose. Moi, il y a des fois où j’ai envie de m’agenouiller, des fois ou j’ai envie de rester debout. »
Derrière cette soif de liberté, une conviction profonde : les religions disent toutes quelque chose de l’humain, et la discussion permet à chacun d’alimenter sa propre spiritualité. « Je crois qu’on est tous et toutes attendus à la table du royaume. J’en suis persuadée. Et qu’une place est faite et prête pour chacun, et pas seulement pour les baptisés. »
Un article de Ben Monnet