Lors de la première matinée de l’université des Amis de la Vie, quatre jeunes de 20 à 40 ans ont raconté leur itinéraire spirituel. Parmi eux, Corentin, 26 ans et Solenn, 40 ans, qui ont tous deux trouvé le sens qu’ils souhaitaient donner à leur vie au travers d’une certaine communion à la nature. Nous avons choisi de les faire dialoguer.
par Raphaël Flandrin et Emilia Spada
Comment est venue votre quête de la spiritualité ?
Solenn Moison : Ma quête commence au décès de mon père, en 2014. J’ai à ce moment-là besoin de réponses pour pouvoir avancer. J’habitais alors à Londres, où les communautés bouddhistes sont très développées. Au bout de quelque temps, je perds beaucoup de choses dans ma vie : mon compagnon, mon travail etc… Je prends alors conscience qu’il faut passer la seconde ! Je pars donc en Inde et me tourne vers la spiritualité orientale pour trouver du soutien. Au fil des rencontres, je comprends que je dois rentrer pour effectuer le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Ce voyage solitaire dans la nature de trois mois sur le chemin de Compostelle m’a ouvert une perspective de vie nouvelle. J’ai appris beaucoup de choses et reçu des cadeaux comme des leçons. Aujourd’hui, cette expérience me guide et j’ai trouvé des réponses dans la spiritualité qui découle de ce chemin. Je continue de marcher et de voyager : ça me nourrit, comme une piqûre de rappel. Le chemin c’est la vie, et la vie c’est le chemin.
Corentin Consigny : Pour moi, la première brique de cette construction spirituelle s’est posée dans l’enfance. J’ai grandi dans une famille catholique. Je suis allé au catéchisme et je me suis fait baptiser, mais c’était mon choix. Mais je me suis éloigné petit à petit des croyances chrétiennes car je ne trouvais pas réellement de sens à tout ça. En deuxième année d’école d’ingénieur, je me retrouve pour la première fois face à moi-même avec beaucoup de questionnements. Jusqu’alors, j’étais porté dans mes études par ce qu’on avait décidé pour moi. J’ai donc compris que c’était à moi de faire mes propres choix. C’est comme un saut dans le vide. Je quitte donc mon école d’ingénieur, et je trouve le chemin de l’engagement écologique avec des amis. J’ai alors trouvé dans le collectif quelque chose d’hyper fort, que j’ai pu relier à ma personnalité, notamment un lien à la nature que je partage avec les personnes autour de moi.
« En tant qu’êtres humains, (…) on est là pour être et non pas pour faire. »
Que ce soit toi, Solenn, au travers de tes différents pèlerinages, ou toi, Corentin, par ton engagement écologique, vous parlez tous les deux de nature. Quelle place celle-ci a-t-elle dans votre conception de la spiritualité ?
S.M. : Je ne pense pas que nous soyons des êtres humains qui cherchons la spiritualité, mais des êtres spirituels qui font une expérience humaine. Et cette expérience est connectée à la nature dans le sens où l’on a été créé, tout comme les animaux ou les arbres, par le même dieu. Simplement, sous des formes différentes, on ne fait pas les mêmes expériences. Quand je suis au milieu de la nature, je découvre ma place. Et cette place, j’ai du mal à la trouver dans des milieux bitumés, dans des villes déshumanisées et industrialisées à outrance. Je m’y sens vide et perdue. Dans la nature, je peux passer dix minutes à m’émerveiller devant une abeille qui butine une fleur. En tant qu’êtres humains, tout comme un animal ou un arbre, on est là pour être et non pas pour faire.
C.C. : Comme Solenn, pour moi la nature est un tout duquel nous faisons partie. On n’a pas de pouvoir absolu sur la nature et ce qui nous entoure. Ce qui me porte dans ce que je fais au quotidien, c’est de dé-zoomer et de voir qu’on fait partie du vivant, sans avoir plus de légitimité qu’une mouche sur la vitre, qu’un poisson dans le lac Léman, qu’une abeille sur la fleur ou qu’une fleur sur laquelle se pose l’abeille. Et je retrouve ce sentiment d’harmonie quand je me balade seul en montagne. C’est ce que j’essaye de porter : faire se rendre compte qu’on va droit dans le mur et qu’il faut faire bouger les choses.
« Le plus important n’est pas de croire à tout prix mais surtout de trouver le sens. »
Lors de ton intervention Solenn, tu as affirmé « Nous partageons tous le même désir d’union au divin, mais sous des formes différentes ». Comment cela illustre-t-il ton cheminement ? Et toi Corentin, comment cette phrase résonne-t-elle pour toi ?
S.M. : Je considère que la religion n’est pas la seule route qui peut mener à la spiritualité ou guider une vie. Selon moi, c’est une doctrine qui peut réduire, dans le sens où il s’agit d’une vision du monde que l’on impose. C’est ce qui m’a fait remettre en question mes enseignements catholiques : avoir l’impression que ces valeurs pouvaient se partager et se transmettre ailleurs que dans l’enceinte religieuse. Ce qui importe, ce sont les notions essentielles telles que le partage ou la solidarité, et l’idée de communier. On arrive aux mêmes conclusions par des chemins différents. Je trouve également que la religion n’est plus tellement adaptée à ce que nous traversons en tant que société. Par exemple, se construire avec le principe selon lequel « nous sommes tous des pêcheurs » est incohérent si l’on veut nous faire entendre que Dieu nous a façonné à son image. Dans le cadre de la lutte climatique, nous devrions nous placer à la même hauteur que la nature, et ne pas se sentir supérieurs.
C.C. : Cette notion de « divin » dont parle Solenn, je la retrouve au travers d’un élan collectif, qui va m’élever et me porter. J’arrive à l’envisager au-delà de tout aspect religieux. Le plus important n’est pas de croire à tout prix mais surtout de trouver le sens. La religion peut être un moyen d’arriver à la spiritualité. J’ai beaucoup d’amis très croyants et pratiquants, chez lesquels je comprends le besoin de structurer cet espace de croyances et de pensée afin de trouver le sens. Finalement, ces questions nous sont communes, et dépassent la religion.
Vous venez tous les deux de formations qui confèrent une certaine reconnaissance sociale (ingénieur pour Corentin, marketing pour Solenn). Après une telle prise de conscience, comment parvient-on à s’insérer / se réinsérer dans la société ? Quel regard est porté sur vous ?
SM. : Pour ma part, je n’ai jamais pu me résoudre à revenir à la société telle que je l’envisageais avant. Il était pour moi inconcevable de retourner à une logique de profit, de toujours tendre vers le plus, que ce soit dans ma vie professionnelle ou personnelle. Avant, il fallait que je fasse le plus de ventes possible, que je m’achète le nouvel article à la mode… Maintenant, je me sers de la nature comme baromètre ; personne ne demande aux abeilles de produire toujours plus de miel ! J’ai appris à vivre avec l’essentiel, m’émerveiller pour un rien, et cela me comble bien plus qu’avant. La nature nous offre tout ce que l’on recherche : un refuge, de la nourriture, de l’eau…
Autour de moi, mes proches ne comprennent pas ce revirement radical, et ont parfois l’impression que j’ai perdu au change. Mais il y a cinq ans, je pense que j’aurais eu la même réaction face à une personne comme moi.
C.C. : Mon engagement pour les questions climatiques engendre plutôt un regard positif. Aussi, contrairement à Solenn, je n’ai pas connu de rupture totale avec mon mode de vie puisque j’ai vite compris que ce n’était pas le gain qui me motivait dans mes études d’ingénieur. Pour autant, mon métier fait que je ne suis pas hors-système. Avec ma famille ou certains de mes amis, les échanges ont pu être compliqués au début car j’avais tendance à me placer en opposition constante pour faire entendre mon point de vue. Avec le temps, j’ai appris à dialoguer sans chercher à convaincre, et à adapter mon discours pour le rendre plus accessible. Incarner ce que l’on prône est capital, et c’est là que le sens intervient, lorsque l’on se rappelle pourquoi l’on fait les choses.
Propos recueillis par Raphaël Flandrin et Emilia Spada