Les Amis de La Vie Luc et Valentine ont accueilli des familles ukrainiennes moins d’un mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022. Ils ont accepté de raconter à la rédaction éphémère cette expérience telle qu’ils la vivent au quotidien.
Par Moïra Gaïani
Pourquoi avez-vous décidé d’héberger des réfugiés ukrainiens ?
Luc et Valentine : Nous avons toujours eu une tradition d’accueil à la maison. Notre engagement ne date pas d’aujourd’hui. Suite à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, nous étions passés par l’association SOS Enfants de Tchernobyl pour accueillir pendant deux mois une petite fille ukrainienne de sept ans qui s’appelait Ludmilla. Cette année, nous avons signalé au Secours Catholique de Dijon et à l’association Ukraine Dijon que nous étions prêts à loger à nouveau des réfugiés. Et Ludmilla est donc revenue à cause du conflit russo-ukrainien. Cela faisait dix-sept ans qu’on ne l’avait pas vue !
Quelles sont les familles que vous accueillez ?
L.et V. : Le 11 mars, Ludmilla et son fils Dania sont arrivés chez nous. Le même jour, une autre famille de quatre personnes s’installait également, avant de repartir rapidement en Ukraine lors du week-end de Pâques. Ils se sentaient trop loin de chez eux et ne voulaient pas s’engager dans un emploi par exemple, car ils voulaient avoir la possibilité de rentrer rapidement.
Quelles sont les premières démarches à effectuer lorsque l’on accueille des réfugiés ukrainiens ?
L.et V. : Il faut d’abord déclarer ces personnes au Spadu (Service de premier accueil de demandeurs ukrainiens), qui va enregistrer leur arrivée. La même démarche est nécessaire auprès de la préfecture puis de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Ensuite, ils obtiennent une carte temporaire de séjour, valable six mois. Ils ont alors le droit de travailler et bénéficient de l’Ada (Allocation pour demandeur d’asile), soit environ dix euros par jour et par personne (une allocation familiarisée de 6,80 euros pour une personne et 3,40 euros par personne supplémentaire, ndlr). Cela met quatre ou cinq semaines à se déclencher, mais le délai court à partir de la déclaration. En attendant, ils reçoivent des chèques alimentaires de la Croix Rouge. Bien que leurs droits à la Sécurité sociale soient ouverts dès leur entrée en France, il faut une démarche supplémentaire pour en bénéficier. Nous avons fait toutes ces formalités avec eux.
Que faites-vous pour qu’ils se sentent intégrés ?
L.et V. : Nous avons proposé à Ludmilla de faire venir des amis d’Ukraine, pour qu’elle se sente un peu chez elle. Elle a réussi à rapatrier une famille de trois personnes, composée de Tatiana, la grand-mère, Elena, la maman et de Dania, son fils. Ils sont arrivés le 5 mai. Ils ont passé deux semaines à la maison, puis on leur a trouvé un logement. Nous organisons aussi un atelier cuisine au Secours Catholique de Beaune (Côte-d’Or) pour les aider à nouer des contacts. Il y a une quinzaine de familles d’Ukrainiens ici, mais ils ne cherchent pas forcément à se rencontrer dans un premier temps.
Comme le but est de retrouver leur intimité familiale et leur indépendance, nous essayons aussi de leur trouver un travail. Ludmilla était coiffeuse en Ukraine, mais elle voulait faire autre chose ici. Elle a donc commencé comme serveuse dans un restaurant de notre village, avant de travailler dans un hôtel comme femme de chambre. Quand elle trouvera un CDI, ce sera plus facile pour elle d’obtenir un logement. Nous l’aiderons et payerons la caution si nécessaire. Nous resterons bien sûr « famille référente » pour eux.
Comment cela se passe-t-il pour les enfants ?
L.et V. : Ils se débrouillent tous les deux à l’école, mais ils ne se sont pas encore fait d’amis car la communication est difficile. Le rectorat met en place des tests nationaux pour évaluer le niveau des élèves qui arrivent d’Ukraine, mais rien n’est prévu pour les plus de 15 ans. On a donc dû le faire nous-mêmes pour Dania, le fils de Ludmilla, qui devrait rentrer en seconde à la rentrée. L’autre Dania, le fils d’Elena, a passé les évaluations fin juin. On leur a aussi appris à nager dans notre piscine et à faire du vélo. On a passé beaucoup de temps avec eux à jouer au Monopoly, au ping pong et au Mille Bornes.
Comment est-ce que vous arrivez à échanger ?
Valentine : Ils ne parlent pas anglais. Il a donc fallu leur expliquer que je ne parlais pas ukrainien mais russe, et que ce serait un bon vecteur de communication. Pendant longtemps tous les Ukrainiens parlaient russe car c’était un enseignement obligatoire, mais la jeune génération (notamment) ne veut plus utiliser cette langue, trop chargée. Au moment du départ pour l’université d’été au Croisic, l’un des enfants m’a hurlé dessus en me disant qu’il était Ukrainien et qu’il ne voulait plus me parler russe. Mais sans cette langue que nous parlons tous (la famille accueillie et Valentine, ndlr), aucune communication ne serait possible. De plus, ils commencent à apprendre le français mais ne le souhaitaient pas au départ : le séjour ici est vu comme quelque chose de temporaire, au-delà duquel il est difficile (voire impossible) de se projeter.
Avez-vous rencontré d’autres obstacles ?
L. et V. : Les personnes accueillies n’avaient pas l’habitude de manger en famille, alors chacun se servait dans le frigo. Nous avons donc dû leur dire que chez nous les repas seraient partagés, car c’est pour nous un moment d’échange. De plus, les garçons n’ont pas été éduqués à participer aux tâches collectives : ils ne sont pas habitués à ce qu’on leur demande de débarrasser la table par exemple. Mais de manière générale, ce qu’on leur fait vivre ici n’est pas mieux ou moins bien, c’est juste différent.
Qu’en avez-vous retiré ?
L. et V. : Ces accueils sont très riches, mais nous font comprendre que l’on ne peut pas tout apporter – logement, aide administrative, nourriture, emploi, école pour les enfants – trop rapidement et à sens unique. Cette aide doit être donnée en collaboration avec la famille, actrice et co-décisionnaire. Celle-ci doit avoir le temps d’exprimer ses besoins et de participer à leur réalisation. L’aide doit s’appuyer sur des échanges ( il ne s’agit évidemment pas de gratitude ou de reconnaissance), et permettre l’autonomie des familles, comme le retour de leur intimité.
Propos recueillis par Moïra Gaïani