Impatient de découvrir le Big Mac halal, inexistant en France, Ilies Sidlakhdar en a profité pour se pencher sur l’intégration de McDonald’s au Maroc, entre adaptation locale et standards internationaux.
McDonald’s. Certains adulent l’entreprise, devenue pour eux un endroit familier. D’autres la détestent pour ce qu’elle représente. Moi, je m’interroge simplement sur le goût que peut bien avoir un Big Mac… En effet, je n’en ai jamais mangé. La raison ? Je suis musulman et la viande n’étant pas halal dans les McDonald’s français, je me suis résolu à devoir observer mes amis Logan et Dylan se délecter du fameux Big Mac sans moi. Même mes visites régulières en Algérie n’avaient pu satisfaire cette envie, puisqu’on ne peut y trouver de McDonald’s halal. Ni même de McDonald’s tout court, à vrai dire. Pendant plus de vingt ans, j’ai donc entretenu la frustration de n’avoir jamais effleuré des lèvres le doux pain du burger qui enthousiasmait tant mes amis.
Je me raccrochais pourtant à un espoir : McDonald’s propose un menu intégralement halal dans tous ses restaurants marocains… et donc un Big Mac !
Ma chance a donc tourné lorsque j’ai appris que j’accompagnais en tant que jeune journaliste Les Amis de La Vie dans leur université d’été… à Rabat !
Et le moment tant attendu arriva :
Même si j’ai l’air heureux sur cette vidéo, c’est plutôt la déception qui domine. Le BigMac tant attendu a finalement le même goût que n’importe quel burger…
Menus marocains à la sauce junk-food
Mais comme j’étais sur place, j’ai cherché à en savoir plus sur l’implantation de McDonald’s, symbole du capitalisme américain, au Maroc. Passé ma déception, j’ai donc posé quelques questions à Fatima-Zahra, une jeune étudiante de 19 ans qui mangeait seule son Big Tasty. Pour elle, le restaurant propose tout un tas de saveurs adapté à son quotidien. Cette jeune femme m’explique qu’il s’agit tout simplement de son restaurant préféré : un mix entre junk food américaine et saveurs marocaines. En effet, la particularité de ce McDonald’s, en plus de certifier une viande halal, est de proposer des menus qui s’adaptent à la localité : des menus « duo mabrouk », des « McArabia » (avec du pain au cumin) et une offre « Ch’hiwates Ramadan ». Changement de pain, de quelques ingrédients (comme les crudités) : tout est fait pour correspondre aux plats marocains.
En France, on a plutôt tendance à voir « le McDo » comme un restaurant américain, étendard du capitalisme. Fatima-Zahra voit plutôt la franchise comme un restaurant international. Elle n’utilise d’ailleurs pas une seule fois l’adjectif « américain » dans ce lieu qui, pourtant, se coupe de ce qu’on à l’habitude de voir à Rabat. À première vue, dès qu’on y entre, l’architecture arrondie, rehaussée de couleurs jaune, rouge et bois, est très semblable à l’apparence de la multinationale en France ou ailleurs dans le monde. Tout comme l’odeur des frites, le brouhaha des machines derrière les caissiers, les musiques pop qui s’enchaînent sur la télé, etc. En dehors des menus, seule la photo du roi Mohamed VI, assez grande pour l’apercevoir dès la porte d’entrée et placée en évidence à coté du comptoir, permet de marquer l’ancrage local.
L’un des seuls restaurants ouverts pendant le ramadan
Certainement davantage dans un souci économique qu’éthique, McDonald’s semble soucieux de respecter les traditions des pays où il s’installe. Je demande donc l’avis de Fatima-Zahra. Celle-ci me surprend en m’apprenant qu’une partie de la population, dont elle et ses amis qui adorent pourtant la nourriture du McDonald’s, trouvent la chaîne irrespectueuse des valeurs musulmanes. Et m’explique : « pendant le ramadan, McDonald’s est l’un des seuls restaurants à rester ouverts pendant la journée. » Et ajoute cependant que beaucoup de Marocains n’y voient aucun mal. L’entreprise certifie donc halal l’ensemble de ses restaurants au Maroc, mais ne poursuit pas son respect de l’éthique musulmane en restant ouvert la journée pendant le ramadan, dans un pays où l’Islam est la religion d’État. Paradoxal ?
J’ai posé la question à Aïcha El Hajjami, théologienne et juriste marocaine. Elle m’explique alors qu’il n’existe pas en Islam d’interdiction pour les pays musulmans de servir à manger à ceux qui le désirent pendant le mois sacré du ramadan. Bien plus, il n’est inscrit nul part que les restaurant doivent fermer durant cette période ou que les « déjeuneurs » doivent être punis par la loi. Mais alors, d’où provient cette habitude au Maroc ? Elle est en fait le résultat d’une ordonnance du premier résident général du protectorat français, Hubert Lyautey. En 1912, celui-ci interdit à quiconque étant connu de religion musulmane de se nourrir dans l’espace public pendant le ramadan, sous peine d’être puni par la loi. Cette décision s’inscrit aujourd’hui dans l’article 222 du code pénal et se justifie par la volonté d’interdire « tout ce qui peut troubler l’ordre public ». C’est aussi pour cette raison que la vente d’alcool est interdite au Maroc.
En pratique, McDonald’s peut, et même doit, servir tous ceux qui n’observent pas le jeûne : les enfants, les personnes âgées, les malades, les femmes enceintes ou en période de menstruation, ou tout simplement les non-musulmans. Mais là-encore, la chaîne a dû essuyer quelques polémiques à propos de restaurants qui demandaient de prouver au client qu’il était non musulman.
La fragile concordance entre traditions, textes de loi et islam fait hésiter la population ainsi que McDonald’s, qui reste pourtant un restaurant au Maroc et non un restaurant marocain.
Texte et photos : Ilies Sidlakhdar