Féminisme et religion ont souvent été opposés. Aujourd’hui toute une génération de femmes essaie de réconcilier les deux, en théorie comme en pratique. Entre place de la femme dans l’institution ecclésiale et relecture féministe des textes religieux : les réflexions abondent.
par Juliette L’Hermitte, Gabrielle Martin-Cayol (texte) et Eliott Guillon de Princé (dessin)
« J’ai toujours été catholique et féministe, mais les deux étaient jusqu’à maintenant dans des sphères séparées » assure Mathilde Hallot-Charmasson, 33 ans, conservatrice à la Bibliothèque Nationale de France. Aujourd’hui, les deux s’entremêlent et se questionnent de plus en plus. Avec une interrogation croissante : peut-on encore croire dans une Église où les hommes ne donnent pas la parole aux femmes ?
« C’est le fonctionnement de l’institution le problème »
Se faire respecter en tant que femmes dans l’Église n’est pas chose simple. Les clercs n’ont pas forcément l’impression d’exclure les femmes mais le système les y oblige : « C’est le fonctionnement de l’institution le problème : même les meilleurs en sont prisonniers », reconnaît la présidente des Amis de La Vie Monique Baujard, 66 ans, devenue en 2009 la première femme laïque à diriger un service pastoral de la Conférence des évêques de France (CEF), le service Famille et société. Elle décrit les évêques qu’elle côtoie de « très courtois », tout en les désignant comme des « pairs ». « Ils sont tous célibataires et patrons, ils n’ont jamais de compte à rendre à personne : c’est systémique ». Quand, à l’occasion d’une assemblée à Lourdes elle est la seule femme présente, personne ne s’interroge sur l’omniprésence d’hommes.
Bénédicte Lemmelijn, première femme membre de la Commission biblique pontificale à être laïque et mère de famille, est aussi l’une de celles qui occupent une place importante dans l’Église. « Je ne veux pas être caractérisée comme une femme » avertit-elle. Lorsqu’elle pratique son métier de critique textuel de l’Ancien Testament elle indique le faire « de manière scientifique et non d’une manière féminine ou masculine ». Depuis sa nomination comme doyenne de la faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain, elle a mis en place des sessions de parole, réorganisé les bureaux… Des actions que certains ont pu qualifier de « typiquement féminines ». Elle affirme malgré ça « ne jamais s’être sentie étrangère au milieu d’hommes », même si elle regrette les fois où les évêques s’adressent à son vice-doyen plutôt qu’à elle. « On s’adresse toujours aux hommes en premier », déplore-t-elle.
« On doit emmener l’Église vers ce qu’est la société actuelle »
La non-possibilité pour les femmes d’être ordonnées pose aussi certains problèmes. « C’est l’institution ecclésiale qui a décidé que les femmes ne pouvaient pas être ordonnées, ce n’est pas indiqué dans l’Évangile : ce sont donc des hommes qui ont institutionnalisé cette interdiction » précise Monique Baujard. Et si pendant longtemps la question de la place des femmes dans l’Église ne se posait pas, c’est aussi qu’elles avaient une moindre importance dans toute la société. « C’est au 19ème siècle qu’il y a eu une justification théologique de l’interdiction de l’ordination car les femmes commencent à gagner en importance socialement » explique la théologienne. Ces femmes, impliquées dans l’Église, aspirent à une institution qui prenne en compte les évolutions sociétales. « On est dans un changement de la société en profondeur, il faut casser le schéma de pensée » clame Bénédicte Lemmelijn. « On doit emmener l’Eglise vers ce qu’est la société actuelle » abonde Monique Baujard.
« Dieu est une femme, lesbienne et noire »
Le féminisme dans l’Église n’a pas qu’un aspect sociétal, il est également spirituel. « C’est un changement plus profond qui doit s’opérer dans notre imaginaire et notre culture » affirme la conservatrice Mathilde Hallot-Charmasson. Avec la création de son podcast en 2019, Des femmes et un Dieu, elle se questionne sur la question du genre dans la religion. Certains mouvements féministes et chrétiens des années 2010 développent l’idée d’un « Dieu femme, lesbienne et noire ». Une formule choc utilisée aux Etats-Unis et reprise en France, qui vise à déconstruire l’imaginaire collectif pour lequel Dieu est un homme, forcément.
C’est à partir du VIIIe siècle que l’on commence à représenter Dieu, montré comme un vieil homme à la barbe blanche. « Un Dieu comme ça je n’en veux pas ! » s’exclame Monique Baujard. Mathilde Hallot-Charmasson insiste sur le « travail personnel de représentation ». Pour elle, c’est en changeant notre regard intérieur sur Dieu que l’on parviendra à obtenir une évolution. Au sein des « cercles de femmes » qu’elle a mis en place avec son association, des ateliers d’écritures sont proposés afin d’apprendre à s’adresser à Dieu au féminin. « Pour moi Dieu est au delà du genre, puisqu’il a crée l’homme (Adam) et la femme (Eve) à son image » explique-t-elle.
Lucie Sharkey, 33 ans, psychologue clinicienne à Lille et cofondatrice du site Oh my goddess!, estime « qu’il faut arrêter de représenter Dieu en être humain ». Et propose ainsi une réflexion écologique qui interroge la façon de représenter le divin. Dans nos sociétés contemporaines l’Homme et la nature s’opposent, alors que tous les deux font partis de la Création. D’où l’idée de considérer Dieu comme une entité hors de l’être humain, s’inscrivant dans une vision globale de la nature. Une approche écoféministe qui part du principe que le monde capitaliste opprimant la nature comme les femmes, une société plus au féminin doit nécessairement s’inscrire dans une logique de symbiose avec la nature.
« L’Église est la caisse de résonance de ce qui se passe dans la société, en pire »
Des siècles d’études de la Bible ont démontré que les femmes ont progressivement été écartées des récits. On sait pourtant grâce aux textes que Jésus leur accordait une grande confiance. C’est l’une d’elle, Marie Madeleine, qu’il choisit pour annoncer la résurrection. L’Église a réussi à « objéifier » la femme en la sacralisant et en faisant d’elle « la femme d’un homme, la mère d’un homme » remarque Mathilde Hallot-Charmasson. « Le mieux, c’est encore d’être mère de prêtre ! » plaisante-elle. Cette sacralisation de la femme a été instrumentalisée par l’image puritaine de la vierge Marie, jugée par l’Église comme un modèle pour toutes les femmes catholiques. « La vierge Marie, je la prends comme modèle pour les croyants, tous genres confondus. Mais quand il s’agit d’en faire un modèle de femme, je dis non ! » s’exclame Monique Baujard, qui s’oppose à cette image imposée aux femmes. « L’Église est la caisse de résonance de ce qui se passe dans la société, en pire, se désole Mathilde Hallot-Charmasson. Elle sacralise les inégalités en leur donnant une justification théologique ». Introduire cette notion de féminisme théologique permet alors d’ouvrir de nouveaux dialogues au sein des institutions, bien que l’Église reste « une vieille dame » avec de « lentes évolutions », comme le souligne la présidente des Amis de La Vie.
Un article de Juliette L’Hermitte et Gabrielle Martin-Cayol