Le christianisme : éloge de la domination de la nature ?

Dans sa conférence donnée à l’université d’été, le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel est revenu sur la façon dont le christianisme avait marqué notre idéal de maîtrise de la nature.

©Jerome Panconi – Éditions du Seuil

Par Flora Granchette

Entre une longue tradition de légitimation de l’emprise humaine sur la nature et un appel au respect de toute la Création, le christianisme entretient un rapport historique ambivalent avec l’écologie. Retour sur le sujet en 4 questions, avec le regard de Jean-Louis Schlegel, ancien directeur de la revue Esprit, philosophe et sociologue des religions, co-auteur avec Denis Pelletier de « À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours » (Seuil, 2012), ouvrage de référence sur l’histoire des chrétiens engagés politiquement à gauche après 1945.

La domination de la nature : une dimension présente dans la Bible ?

Selon la thèse défendue en 1966 par l’historien médiéviste américain Lynn White (« Les racines historiques de notre crise écologique »), le christianisme (donc aussi le catholicisme) prône une position dominatrice de l’homme sur son environnement en s’appuyant sur la Bible. En effet, dans le verset 1,28 de la Genèse, la nature semble soumise à l’humain. « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » L’homme aurait donc reçu de Dieu la mission de « devenir maître et possesseur de la nature », pour reprendre les termes de Descartes dans son Discours de la méthode (1637).

Le christianisme, religion anthropocentrique ?

A travers cette domination, le christianisme serait devenu « la religion la plus anthropocentrique qui soit », selon Lynn White. En effet, Dieu, créateur de la nature, a modelé Adam et Eve à son image : ce sont aussi des « dieux » d’une certaine manière. Le christianisme est donc « centré » sur l’homme. Si Dieu domine la nature, les hommes ne le peuvent-ils pas aussi ? A partir du 19° siècle, cet idéal de maîtrise de la nature deviendra indéniablement et durablement le progrès technique. « Toute la recherche scientifique du Moyen Age et de l’époque moderne se structure dans un climat de présupposés religieux » affirme Jean-Louis Schlegel à la suite de Lynn White. A mesure que l’homme progresse, il souhaite que son environnement soit malléable à souhait. « La nature devient une nature morte, transformable à volonté. Celle-ci s’apparente alors à un obstacle, tel un ennemi à éliminer. »

Le progrès technique béni par l’Eglise ?

Selon Jean-Louis Schlegel, dans les temps modernes, l’Eglise catholique n’a quasiment pas formulé de critiques vis-à-vis du progrès technique. « Au XIX ème siècle, seuls des contre-révolutionnaires romantiques et des conservateurs le dénoncent. » Cependant, loin d’une démarche écologique, cette prise de parole est davantage l’expression d’un idéal traditionaliste, nostalgique « des enchantements de la nature passée. » C’était aussi un positionnement critique envers le protestantisme, particulièrement enclin à balayer toutes les traditions mystiques et païennes, considérées comme plus proches de la nature.


Au XXe siècle, les années 1960-1970, où s’affirme la société de consommation, marquent le début d’une remise en cause pour l’Eglise. Les inégalités sociales, tout comme les écarts de richesse entre les populations des pays développés et en voie de développement, sont mis en cause par les textes sociaux de l’Eglise. La question écologique passe donc fortement par le prisme social, déjà présent au XIXe siècle. Cependant, les écologistes radicaux, « décroissants », reprochent aux papes de ne dénoncer « ni le capitalisme ni la mondialisation », rappelle Jean-Louis Schlegel.

Retour à saint François d’Assise ?

Si les appels à la protection de la biodiversité ont longtemps été timides, la papauté n’est pas restée muette pour autant. En 1979, Jean-Paul II fait de Saint François d’Assise « le patron des écologistes ». En 1990, il publie un de ses textes les plus forts « La paix avec Dieu créateur, la paix avec toute la création. » Les échos à la pensée de saint François sont bien présents. Depuis les années 1990-2000, la position de l’Eglise défend une écologie intégrale, incluant à la fois des problématiques sociales et environnementales, comme dans l’encyclique Laudato Si du pape François (2015) qui relie environnement et justice sociale. Jean-Louis Schlegel souligne que dans ce cadre, l’Eglise s’évertue à défendre la « loi naturelle » et à rejeter toute forme de « progrès » qui intervient sur le corps de l’homme, et en particulier celui de la femme (par exemple à travers la contraception « non naturelle »).

Texte et propos recueillis par Flora Granchette