Comment agir ? Echange intergénérationnel avec Raphaël Larrère et Arthur de Lassus

« Comment agir ? » A partir de cette question centrale dans l’université 2021, la rédaction éphémère a voulu organiser une discussion entre générations. Raphaël Larrère et Arthur de Lassus, tous deux intervenants à Assise, ont accepté de se prêter à l’exercice.

(© Yoann Labroux-Satabin)

Par Zoé Caillard et Elena Vedere

L’université 2021 des Amis de La Vie sur le thème de l’écologie a réuni du 26 septembre au 1er octobre des personnes de toutes générations. Elles ont réfléchi ensemble sur les modes d’actions possibles dans le combat écologiste et se sont demandées comment agir. Il en ressort une réflexion primordiale : la lutte entre les générations est inutile. Il n’est plus l’heure d’attiser les conflits, de chercher des responsables ou de se confier mutuellement la responsabilité du combat écologique. “Quand il nous reste 25 ans à vivre, qu’est-ce qu’on peut faire ?” a-t-on pu entendre parmi les questions du public à l’issue de la table-ronde autour de la génération Laudato Si. Pour Ugo, jeune du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC), les plus anciennes générations ont comme mission de parler, de s’engager, voire de prendre des risques pour que leurs pairs prennent conscience qu’il s’agit là d’un combat intergénérationnel.


Raphaël Larrère, 79 ans, ingénieur en agronomie, et Arthur de Lassus, 32 ans, jeune maraîcher au Campus de la transition, ont accepté de croiser leurs visions.

Pensez-vous que certains modes d’action pour faire avancer la cause environnementale soient aujourd’hui dépassés ? En faut-il de nouveaux ? 


Raphaël Larrère : Je n’ai pas de préférence pour un mode d’action plutôt qu’un autre, tout dépend du contexte et de la marge de liberté dont on dispose. Il faut en tout cas être attentif à ce qui se passe dans le monde, aux luttes sociales, aux combats de quelques-uns contre des projets inutiles, comme l’aéroport Notre Dame Des Landes. On tire des leçons de l’étranger. Par exemple certains soutiennent le mouvement des villes en transition, établissent des réseaux informels d’agriculteurs, se mettent à la permaculture… Ces modes d’actions sont plus efficaces que les partis politiques. 


Arthur de Lassus : Je ne suis pas contre les modes d’actions qualifiés de violents. Pour moi, la plus grande violence vient de notre mode de vie quotidien et des conséquences qu’il aura dans le futur. Certaines actions sont illégales, comme le sabotage. Je pense au collectif La Ronce qui incite à aller dans les supermarchés ouvrir les paquets de sucre (sans les acheter), afin de lutter contre l’utilisation des néonicotinoïdes dans la culture de betteraves. Ou encore le décrochage de portraits d’Emmanuel Macron dans les mairies, avec l’accord des maires, afin de médiatiser la cause écologique. La Cour de cassation a d’ailleurs considéré cet acte comme pouvant être justifié par la liberté d’expression (Cour de cass., chambre criminelle, 22 sept 2021). Pour moi, ce n’est pas de l’illégalité à partir du moment où c’est absolument légitime. Tant que le sabotage ne s’attaque pas aux personnes je ne suis pas contre, j’en suis même assez heureux. J’ai simplement peur que ce mode d’action ne soit pas toujours compris, si ce n’est contre-productif, d’autant qu’il en existe beaucoup d’autres. 

Attendez-vous encore quelque chose de l’Etat et de la politique ?


R.L :
Les partis écologistes n’ont à mon avis aucune chance à l’élection présidentielle et perdent leur temps. Par contre, cette force politique peut être utile à une échelle plus locale, où elle maîtrise davantage le rapport de force. Les écologistes ont d’ailleurs eu de très bons résultats aux municipales. Henri Nallet, ancien ministre de l’agriculture (1985-1986, et 1988-1990) puis de la justice (1990-1992), m’affirmait avoir trois fois plus de pouvoir en tant que maire qu’il n’en avait au gouvernement.  


A.de L. : Dans l’exercice de mon métier de maraîcher, j’ai absolument besoin du politique car sans son action, je ne pourrais pas être compétitif. Pour autant, je suis assez désabusé par l’ignorance qu’a le monde politique de nos combats, notamment lorsque le Président a négligé les réflexions de la Convention Citoyenne pour le Climat, malgré ses promesses. 

Les actions pour la cause environnementale sont-elles différentes selon les générations ?


A.de L. : Par réflexe j’aurais tendance à dire que les générations qui nous précèdent s’investissent de façon moins forte dans l’écologie. Mais j’ai en tête de très belles exceptions. Je me souviens d’une action de désobéissance civile menée contre l’entreprise Total en Guyane. Nous nous étions recouverts de mélasse pour simuler le pétrole et une retraitée se tenait à côté de moi. Protégée par la sécurité de sa retraite, elle ne craignait rien, tout comme cette personne plus âgée, vue en manifestation à Nice et bousculée par un CRS. Lorsque je vivais à Marseille, j’avais la chance d’avoir un emploi salarié et donc le luxe de faire des actions de désobéissance civile. Maintenant, finir en garde à vue impacterait trop mon métier de maraîcher, donc je comprends mieux combien notre engagement dépend de nos conditions matérielles.


Pour vous, qu’est-ce que la radicalité ?


A.de L. : Le Campus de la Transition se définit comme radical mais non-marginal. Pour moi, être radical, c’est comprendre les racines de ce qui nous arrive. Un ingénieur aura tendance à souligner le rôle des énergies fossiles, quand un sociologue accusera le capitalisme.


R.L : Je pense qu’être radical, c’est ne jamais lâcher ce qu’on pense être vrai, ce sur quoi on s’est engagé. La marginalité n’est quant à elle pas forcément négative et pousse à l’inventivité. Il faut bien vivre en dehors du système, sans s’attendre à ce que les gens disent “c’est bien ce que vous faites”.


A.de L. : Être radical, c’est se désintoxiquer de la drogue dure que sont les énergies fossiles. On réalise beaucoup de choses parce que l’on dispose d’une grande quantité d’énergie à bas coût. Un litre de pétrole produit autant d’énergie que si vous pédaliez huit heures par jour pendant un mois. Un litre de pétrole, c’est deux euros : votre force de travail, c’est 1000 à 2000 euros. Être maraîcher me permet d’assainir une partie du système de production.

Pensez-vous que la radicalité soit nécessaire à la prise de conscience écologique ?


A.de L. : Je pense qu’elle suit la prise de conscience écologique. Je ne comprends pas comment on peut être écologiste et non radical.


R.L : Parfois, une pause dans la radicalité est tout de même nécessaire pour construire un raisonnement. Être radical ne revient pas à agir dans l’urgence, c’est en prenant le temps de réfléchir qu’on peut ensuite prendre des positions radicales.


A.de L. : Mais être radical n’empêche pas d’être simultanément dans le dialogue. La radicalité, c’est aussi agir en fonction de la finalité, de l’objectif. Pour rentrer dans les objectifs fixés avant 2050, il faudrait réduire nos émissions de CO2 de 5% par an. Cela revient à encaisser une crise de l’ampleur sociale du covid chaque année. Je n’ai pas envie de broyer des humains pour respecter ce quota, mais si nous n’agissons pas, il faudra le faire dans 30 ans. La radicalité, c’est sentir une tension dans ses tripes qui nous signale un énorme problème : des centaines de milliers de personnes vont crever si on ne fait rien. 


Raphaël Larrère, vous dites dans un article pour la revue L’ADN que la collapsologie fait agir dans l’urgence, mais parfois dans le mauvais sens. Que cette démarche relève plutôt de l’alerte et ne permet pas forcément de trouver des solutions. Soutenez-vous toujours cet avis ? Pensez-vous que la collapsologie soit une source motrice ou paralysante ?


R.L : Effectivement, dire que tout est foutu n’est pas très mobilisateur. Plus un système est complexe, plus il est imprévisible. On ne peut donc pas dire qu’il va s’effondrer. Il n’est pas certain que le pire sera, ni qu’il ne sera pas. Tout système est vulnérable ou résiliant. Ce que les collapsologues ont de bien, c’est d’avoir alerté sur l’urgence de la situation.


A.de L. : Selon les collapsologues, l’effondrement arrive quand une majorité des personnes n’ont plus accès aux services de base et que l’État est dépossédé de son pouvoir régalien, mais c’est déjà le cas dans certains pays. Autour de moi, c’est plutôt une force motrice. Il y a certes des constats plombants, mais nous avons des ressorts humains qui nous donnent envie de vivre et de nous battre. On peut reprocher aux collapsologues un manque d’accompagnement des constats émis, mais ils permettent de lancer des modes d’action.

Propos recueillis par Zoé Caillard et Elena Vedere