Face aux mutations technologiques, toujours plus humains ? Paroles de lecteurs

A la suite de la conférence sur le lien entre mutation technologique et humanité du soin, des Amis de La Vie témoignent de leurs expériences personnelles.

 

Lors de la conférence « Face aux mutations technologiques, toujours plus humains ? », le Professeur Marc Ychou et l’infirmière Catherine Bourgade sont revenus sur leurs parcours dans le milieu médical. Avec un constat : face à l’avancée de la technologie et au perfectionnement des techniques, l’empathie et l’écoute des patients semblent de plus en plus laissées de côté. Et pourtant, les deux intervenants ont témoigné des stratégies et systèmes de travail collectif qu’ils ont su mettre en place pour privilégier la relation avec les patients, que ça soit lors de l’annonce d’une maladie ou de l’accompagnement d’une hospitalisation.

Une intervention qui n’a pas laissé les lecteurs de la Vie indifférents, très réactifs face aux problématiques soulevées lors de la conférence. Le manque d’attention, de disponibilité, la mécanisation des soins et même la souffrance des soignants ont été abordés dans les questions du public. A cette occasion, nous avons souhaité aller à la rencontre de deux lectrices : une ancienne pharmacienne hospitalière et un clown intervenant en EHPAD.

 

Françoise DEVAUX, ancienne pharmacienne hospitalière, revient sur l’évolution des pratiques en milieu hospitalier.

Les jeunes ne connaissent que l’histoire des vingt dernières années, or les choses n’arrivent pas du jour au lendemain, il y a toujours une évolution sur le long terme

Passionnée par les sciences, Françoise quitte le milieu rural dans les années 50 pour faire ses études sur Paris. D’abord technicienne de laboratoire, elle s’oriente ensuite vers la pharmacie hospitalière. Titularisée comme praticienne, ses rapports avec les patients sont peu nombreux mais son travail nécessite d’échanger avec tout le personnel de l’hôpital, soignant comme administratif.
« Depuis les années 70, à la suite des Trente Glorieuses, il y a eu des changements constants au sein des hôpitaux. Avant cette époque, les religieuses s’occupaient des soins et du nettoyage. Elles ont ensuite été remplacées par des personnels ouvriers. La relation entre le médecin et le patient a par la suite été de moins en moins primordiale ».

Les infirmières qui ont succédé aux bonnes sœurs dans les hôpitaux ne voient véritablement reconnu leur statut professionnel que dans les années 1980. La rencontre de Françoise avec les infirmières de l’hôpital lui a permis de connaître leurs besoins pour pouvoir réaliser leur travail correctement. Ces échanges entres les corps médicaux ont selon elle permis de remettre le patient au centre des préoccupations.

Tandis que le SIDA fait son apparition et qu’il y a une augmentation des décès liés aux cancers, Françoise raconte avoir « vu des médecins et responsables de service arriver en pensant que la technique résoudrait tout. Ils ont finalement été obligés d’organiser des groupes de paroles avec les aides-soignantes, qui leur ont appris comment accompagner les malades ». Dans les années 90, des groupes de paroles s’organisent avec des représentants pour les différents personnels soignants. Les questions d’organisation des soins, d’attente des patients et de confidentialités y sont abordées. « Ces réunions ont décloisonné la parole des soignants et leur ont donné l’occasion de se rencontrer », assure Françoise.

Françoise a maintenant quitté le milieu hospitalier depuis plus de 18 ans. De nouvelles tarifications des produits pharmaceutiques ont poussé les hôpitaux à prioriser la rentabilité au détriment des soins. « De mon point de vue, les conditions se dégradent dans les milieux hospitaliers. A contrario j’observe une prise de conscience des citoyens en dehors de l’hôpital ». Selon elle, l’avenir de la médecine repose sur une diminution de la médicalisation, associée à un changement de nos modes de vie vers plus de prévention et plus de soin de soi.

La conférence de Catherine Bourgade et Marc Ychou

Emily RUBAT, aussi connue sous le nom de PETULA, nous parle de son expérience en tant que Clown en EHPAD – ces structures spécialisées qui accueillent les personnes âgées en perte d’autonomie physique et/ou psychique.

A la suite d’une hospitalisation, Petula s’est découvert l’envie d’utiliser son expérience de Clown pour rendre visite aux malades. Cinq de ses amis clowns qui partageaient ce même désir se sont regroupés pour former « Les Zenez » et rendre visite aux patients d’EHPAD. Malgré leurs différents niveaux – de novice à expérimenté – ils ont pu se constituer en association et ont ensemble décidé d’investir la majorité de leur bénéfices dans une formation de clown afin de se perfectionner. Ils sont maintenant huit à travailler en duo quelques heures par semaine lorsque les établissements acceptent d’investir dans leurs prestations. En effet, Petula en est déjà à son 4ème établissement. Les précédents, malgré le coût dérisoire d’intervention, n’ont pas reconduit le contrat. La raison invoquée est le budget trop faible alloué à l’animation, mais également un manque de soutien du personnel soignant. Car les rapports avec les équipes ne sont pas toujours simples. « Dans ce milieu, le clown, comme tout ce qui sort du cadre médical, dérange », constate Petula. « Certains employés m’ont déjà fermé la porte au motif que mon intervention perturberait les patients. ‘Ils sont trop excités après votre passage’ m’a-t-on dit ».

Petula regrette ce manque de collaboration avec le personnel soignant. Mais heureusement, certains ont su lui faire confiance et lui ont offert l’opportunité de partager des moments de joie avec certains patients mis à l’écart. Elle se souvient de ce malade auquel les infirmières lui avaient demandé de rendre visite. «Il n’a pas parlé de la séance, mais il n’a pas arrêté de sourire non plus, comme témoignage de sa joie ». Le duo a pu chanter, danser pour lui, et l’émotion partagée était grande.

Pour Petula, le futur de son travail de clown est incertain. D’un côté elle est plutôt pessimiste s’agissant des EHPAD, marqués, selon elle, par une tendance à la mauvaise gestion. Mais « d’un autre côté, quand les conditions s’y prêtent et que l’humain nous appelle, on est accueilli à bras ouverts ».

 

Coline Jean-Louis