Dans son documentaire « Au pied du mur », le réalisateur et photographe Gil Corre est allé à la rencontre des chrétiens de Palestine, une communauté peu médiatisée dont la population ne cesse de diminuer. Lundi 3 juillet, il a présenté son documentaire aux Amis de la Vie. Entretien.
Pourquoi avoir choisi de réaliser un documentaire sur les chrétiens de Palestine ?
Je me suis toujours intéressé à l’histoire d’Israël. Quand j’étais collégien, un de mes professeurs était passionné par ce pays et il nous racontait ce qui se passait sur le terrain, en nous expliquant que le peuple juif avait tellement souffert et que là, enfin, en 1967, pendant la guerre des Six jours, il avait enfin pris les armes pour se défendre. J’avais beaucoup d’empathie et de compassion pour le peuple juif, et c’est un territoire qui m’a toujours intéressé. Puis, quelques années plus tard, étudiant avec des idées de gauche, j’ai commencé à étudier la question sous un angle différent, à savoir que le peuple palestinien a énormément souffert d’une situation dont il n’était pas responsable, et qu’il a été dépossédé de ses territoires. Ça dure depuis 70 ans. La situation est complètement bloquée, et le peuple palestinien n’a toujours pas la possibilité d’exercer ses droits fondamentaux.
Dans mon métier de réalisateur, j’essaie de travailler des sujets qui me touchent, dans lesquels je vois un investissement personnel, et là pour moi il y avait un impératif moral de faire quelque chose sur la Palestine. Non pas que rien n’ait été fait, mais j’avais envie de l’aborder sous un angle particulier, de mettre un pied sur ce territoire et d’y comprendre quelque chose par moi même, pour renvoyer l’émotion et les questions que ça suscite chez moi.
J’ai aussi lu un certain nombre d’articles sur les chrétiens de Palestine, disant qu’ils étaient de moins en moins nombreux, et qu’ils allaient disparaître du territoire de la Terre sainte, ce qui me paraît une aberration. Ils sont quand même les descendants des premiers chrétiens ! Je voulais aussi sortir du cliché imposé par la propagande israélienne, selon lequel on a affaire à un conflit entre Musulmans et Juifs.
Au pied du mur : Teaser from Gil Corre on Vimeo.
Votre vision des chrétiens de Palestine a-t-elle changé pendant le tournage ?
Disons que j’ai bien appris à les connaître. Très ouverts, souvent très cultivés, polyglottes, ils sont au fait de ce qui se passe au niveau international. On peut avoir l’impression qu’ils sont enfermés mais en fait ils ont des liens avec leurs familles, en grande partie exilées, essentiellement aux Etats Unis mais aussi en Amérique du Sud. J’ai aussi été surpris de voir que les chrétiens tenaient le haut du pavé au niveau de l’éducation. Ils ont une très grande importance. Beaucoup de leurs enseignants forment les jeunes élèves Palestiniens, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, comme on peut le voir dans le film.
Quel a été pour vous leur meilleur acte de résistance ?
À partir de la première Intifada, dans les villages chrétiens, s’est développée une résistance non violente très intéressante, notamment dans les villages autour de Bethléem, où des gens ont déchiré publiquement leurs papiers d’identité pour signifier qu’ils refusaient des papiers délivrés par Israël. Des Palestiniens ont aussi refusé de rentrer dans des circuits de distribution alimentaire imposés par Israël, en faisant de l’autosubsistance, c’est-à-dire en en cultivant leurs légumes, leurs fruits et en ayant leurs propres réseaux internes de distribution.
“Je voulais représenter un éventail de toute la société palestienne en termes d’âge, de sexe et de profession.”
Pourquoi avoir fait le choix d’ajouter vos photos dans le documentaire ?
Avant de tourner ce film, j’ai fait quinze jours de repérage, ce qui m’a permis de rencontrer la plupart des protagonistes du film. A l’occasion de mes repérages, beaucoup de gens m’ont raconté leur histoire. Revenu chez moi, j’ai pu faire une sorte de “sélection”, je voulais représenter un éventail de toute la société palestienne en termes d’âge, de sexe et de profession. Pendant ces repérages, j’avais fait pas mal de photos. J’ai voulu les ajouter au film car je trouve qu’elles illustrent bien les voix des protagonistes. Ce n’était pas forcément prévu au départ, mais je pense aussi que cela permet des “arrêts sur image” pour le spectateur, et marque une sorte de pause. Et le noir et blanc des photos évoque une sorte d’intemporalité. Ces photos auraient pu être prises il y a dix ans, et j’ai peur qu’elles puissent être encore d’actualité dans dix ans.
Est-ce que l’absence de voix-off est un choix de réalisation ?
J’essaie, dans quasiment tous mes documentaires, de bannir la voix-off. C’est quelque chose que je n’aime pas du tout parce que cela prend pour moi la forme d’un maître, avec une voix qui explique ce qu’il faut que le spectateur comprenne. Bien sûr que le montage et le choix des images est orienté par le réalisateur, mais il me semble parfaitement inutile de rajouter une voix directrice.
Propos recueillis par Amandine Letourmy