Dalibor Frioux : « Pour agir, il faut de la beauté qui inspire »

Le philosophe et auteur Dalibor Frioux est venu donner une conférence à l’université d’été autour du thème « Quand les artistes s’inspirent de l’écologie ». Rencontre.

© Michel Gasarian
© Michel Gasarian

Le thème de notre journée est « l’art change le monde », l’art peut-il contribuer à changer la perception de l’écologie ?

Oui, l’art a un rôle à jouer en matière d’écologie car il ne suffit pas de savoir pour agir, c’est l’une des grandes contradictions de l’homme. La crise écologique est complexe et systémique : elle est en lien avec la politique, l’économie, la technique et la morale. L’approche purement informationnelle de la connaissance aide effectivement à identifier les problèmes mais elle montre aussi des limites.

Nous recevons en permanence des informations à propos de la crise écologique. Cela a un côté anxiogène et paralysant. Les statistiques, les slogans peuvent avoir un côté culpabilisant qui est contre-productif. Il s’agit donc de dépasser cette surcharge d’informations et de s’adresser aussi à la sensibilité, à l’enfance et au rêve.

“La beauté renvoie à quelque chose de bon et de juste, elle réveille en nous des forces vitales telles que le besoin d’harmonie et de rêve.”

Dans une prise de conscience, il n’y a pas que les chiffres qui contribuent à faire progresser la cause mais aussi les symboles. En rendant sensible à des problèmes très complexes, l’art permet de libérer de l’angoisse et de désinhiber. Pour agir, il ne faut pas seulement de la raison, il faut aussi de la beauté qui inspire. Puisque la beauté renvoie à quelque chose de bon et de juste, elle réveille en nous des forces vitales telles que le besoin d’harmonie et de rêve. Ce sont des facteurs puissants pour passer à l’action.

Dans votre conférence vous évoquez l’exemple de l’artiste allemand Joseph Beuys qui planta      7 000 chênes et une stèle au pied de chaque arbre dans la ville de Cassel en Allemagne pour son œuvre « Reboisement plutôt qu’administration de la ville ». La différence entre l’œuvre de l’artiste et celle de l’activiste semble alors floue, peuvent-elles parfois se confondre ?

L’action de planter un arbre n’est pas une démarche artistique en soi. Cela dit, Joseph Beuys vient nous surprendre avec les stèles plantées aux pieds des arbres. C’est à cela que l’on reconnait la démarche artistique : l’artiste détient cette capacité à faire un détour par le sensible pour nous surprendre, nous interroger. Il réveille en nous des régions insoupçonnées et vient ainsi nous révéler à nous-même. Alors qu’au contraire, une approche plus frontale, avec un message direct, peut faire basculer dans un système binaire de bien contre le mal qui pousse à s’enfermer et s’endurcir dans une position.

“L’art passe par l’inconscient et une gourmandise des sensations.”

Ainsi l’art passe par des chemins insoupçonnables qui ramènent à l’enfance. Baudelaire disait que dans l’art « le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté ». Et cela n’est pas seulement valable pour l’artiste mais aussi pour le spectateur. L’art nous replonge dans une certaine innocence, dans l’époque de notre vie où nous étions dans un état d’ouverture et de fascination pour des choses simples. Il passe par le sensible, au-delà de l’intellectuel. Il ne peut pas se résumer à un message sinon il serait une théorie, un récit ou un document. En réalité l’art passe par l’inconscient et une gourmandise des sensations.

Finalement, l’art n’est pas totalement contrôlé et maîtrisé. C’est l’ambivalence dans toute œuvre d’art qui en fait sa richesse. Si la signification de l’œuvre est trop explicite, alors ce n’est plus de l’art. C’est pour cela qu’il est important de trouver un équilibre entre beauté stérile et trop de dialectique.

Vous considérez les écrivains comme des artistes et vous avez-vous-même écrit deux livres. Vous êtes-vous inspiré de l’écologie dans vos livres ?

Oui, le thème de l’écologie est présent dans mon premier roman Brut (2011). C’est un récit d’anticipation d’une cinquantaine d’année sur la gestion du pétrole par la Norvège. Dans ce livre j’ai essayé d’embrasser tous les aspects, c’est-à-dire les questions économiques, politiques, environnementales, éthiques et morales de la gestion d’une immense richesse. Je suis parti de faits réels : la Norvège était un pays pauvre, un pays de bucherons et de pêcheurs. Ce royaume est devenu tout à coup immensément riche. Dans notre monde, la Norvège est maintenant la démocratie la plus riche par habitant. Elle puise sa richesse du pétrole. Cependant, la nation demeure très attachée à la nature, à l’écologie. J’évoque donc dans ce livre un dilemme moral très fort entre tous ces paramètres.

Mon second roman, Incident voyageurs (2014), est plus éloigné du thème de l’écologie puisqu’il s’agit d’un huis-clos dans une trame de RER. C’est une réflexion sur l’enfermement et l’inhumanité des transports en communs. J’y évoque les villes en surpopulation et la mauvaise gestion des humains à travers le dialogue intérieur de trois personnages.

Propos recueillis par Maïthé Thouvard.