Le thème de l’université d’été 2016 a inspiré ce texte à l’un de nos lecteurs et amis, Hafid Mahfoudi. Nous le publions volontiers. Plus qu’un mois de patience (et de préparatifs) avant l’ouverture !
Depuis les aplats sur les parois des cavernes de Lascaux, la prise en main du monde par des mains anonymes, jusqu’au blanc du silence de Cage et au silence du blanc de Malevitch, l’homme a toujours cherché ce qui le dépasse, l’inconnu, l’invisible.
L’homme a toujours cherché à comprendre ce qui le taraude au fin fond de ses viscères, ce qui fait agiter son cœur. L’homme est toujours à l’œuvre, une œuvre qu’il ne peut expliquer, puisqu’il ne peut la connaître. Il cherche à voir l’invisible à l’exemple du Tintoret et en même temps rendre invisible ce qu’il voit, comme en témoigne l’œuvre du Greco. Il cherche à entendre l’inouï et tendre l’oreille au silence du fracas, la tâche de tout vrai musicien.
Sa quête de l’origine du monde est infinie, comme est infinie sa ligne qui vise un horizon sans fin. L’âme du monde attise la soif de son âme. Son désir inextinguible a toujours été de les réunir dans leur impossible matérialité. Ce serait là le sublime et il en serait le génie.
A moins que ‶l’art (n’ait) d’autre objet que d’écarter tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à la réalité même″ (Bergson). Mais pour l’artiste, seule est réelle sa quête et seul l’incommensurable est la réalité de sa quête.
L’art, c’est l’art de maîtriser l’espace et le temps, à l’image du danseur qui s’élance dans l’espace et suspend le temps, un instant, c’est le tableau qui dépasse le cadre, c’est la variation continue sans fin.
L’art, c’est ce qui donne une image au monde, c’est l’art qui lui prodigue sons, couleurs et mots. C’est cette agitation créative qui lui donne sens aux yeux de l’humain.
L’art, c’est tout ce qui cherche, l’art de chercher à perturber l’ordre du monde, à rentrer en conflit avec son imperturbabilité, à lui résister, à le tordre, à le redresser, à le transcender. C’est l’art de jouer. Et c’est en jouant que l’on devient soi, à travers la multiplicité des devenirs.
‶L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art″, nous dit Robert Fillon.
L’art est aussi confidence, sans confidence, aveu sans aveu, secret qui reste secret. Aussi, l’art, le vrai, ne peut être “conciliant″, il ne peut être qu’”art inexorable″, comme dirait Adorno.
Tout comme le monde, l’être humain est insondable. Tout comme le monde, il est le produit de hasards, d’accidents, de collisions, de catastrophes et parfois de douceur, de beauté et d’harmonie. Seule nécessité, ‶nécessité causale″, pour l’homme: l’art. Quand bien même, il ne serait qu’illusion, semblant de sens, semblant de maîtrise, mensonge, il ne resterait pas moins création. N’en déplaise à Platon.
Par-delà les contingences, les besoins et les luttes de toutes sortes, par-delà les sciences et les techniques, par-delà les religions et les idéologies, par-delà la vérité même, il y a cette mission tragique, cet idéal à matérialiser, à sculpter, à dessiner, à écrire, à chanter, à danser. Et si tout agir est création de soi, l’agir artistique est une création qui puise dans l’essence même de l’homme.
Ce souffle qui emporte et qui mène à l’assaut de ‶La montagne des signes” (Artaud). Mais attention, nous avertit Nietzsche : “le désir incessant de créer, propre à l’artiste, et son regard sans cesse à l’affût de l’extérieur, l’empêchent de devenir plus beau et meilleur dans sa personne, c’est à dire de se créer lui-même.″ C’est oublier que ‶l’esthétique n’est en fait qu’une physiologie appliquée″.
La création est un défi tragique lancé à tous les pouvoirs, à toutes les puissances, à toutes les évidences, à tous les dieux. C’est pour cela que l’art est insensé, l’art est fou, l’art est enfantin (Héraclite).
Rien ne peut arrêter l’art, ni le corps, ni l’esprit, ni les lois. L’art c’est la vie qui s’excède elle-même. Aussi, l’artiste authentique est personne, et bien qu’il ait une vie, une sensibilité et un esprit, seule la présence de l’autre lui confère une existence.〝C’est le regardeur qui fait le tableau″, nous dit Duchamp.
L’artiste ouvre une voie nouvelle, il ouvre la voie aux autres, il crée une branche nouvelle pour chatouiller le ciel, une bifurcation dans le rhizome de la terre.
En effet, l’art est généreux sans le savoir, il est altruiste sans le vouloir, car toute création libre est libératrice.
Créateur de soi, l’artiste est créateur de l’autre.
L’art est surhumain. L’art est divin. L’art crée le monde.
Hafid Mahfoudi
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