Nantes 2016 : une bibliothèque ouverte à tous les vents

Marie Aubinais, écrivain pour la jeunesse et alliée d’ATD-Quart Monde, va animer un atelier intitulé “s’engager dans une bibliothèque de rue” lors de l’université d’été 2016 à Nantes. Découvrez le reportage que La Vie lui a consacré en 2010.

BibliothequesdeRue Marie Aubinais_resultatSquare Édouard-Vaillant, à Saint-Ouen (93), à quelques centaines de mètres du marché aux puces et du boulevard périphérique. Sous le timide soleil d’octobre, une équipe d’ATD quart-monde a étendu une bâche de plastique bleue sur le sol. Chaque samedi, qu’il vente ou qu’il neige, elles sont cinq femmes à venir bénévolement lire avec les enfants du quartier. Dehors, assis par terre, tout ­simplement.

On appelle ce moment précieux une bibliothèque de rue. Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD, avait la conviction que le cercle vicieux de la misère ne pouvait être brisé que par la capacité à maîtriser le langage, à apprivoiser l’écrit. Dès son arrivée comme aumônier dans le bidonville de Noisy-le-Grand, à la fin des années 1950, il crée une bibliothèque. Après 1968, les livres essaiment dans la rue, d’abord dans une cité de Stains (93), puis partout en France, et enfin dans les pays où s’est implantée ATD. À Saint-Ouen, la bibliothèque de rue est ouverte depuis bientôt deux ans.

« Les dames des livres ! » C’est par des cris de joie que Marie, Cécile, ­Jo-Lind, Estelle et Julie sont accueillies dans les couloirs de l’hôtel Formule 1 qui surplombe le square. Aux 7 e et 8 e étages, où des dizaines de familles s’entassent dans des chambres de 8 m2, une volée d’enfants se précipitent dans leurs bras. Depuis que les animatrices ont compris qu’il fallait venir chercher les petits, rassurer les parents, gagner leur confiance, la bibliothèque est un succès. Bilal, 3 ans, Marwa, 4 ans, et quelques autres leur sont confiés, le temps d’une escapade dans l’imaginaire, juste au pied de l’immeuble. Rayan, Abdel, Anika, plus âgés, sont déjà là, fidèles à un rituel qui n’étonne plus les grands-frères, en palabre sur le banc d’en face.

Le tapis bleu du square a quelque chose d’une oasis posée sur le goudron. Une maman s’y est installée pour quelques minutes de lecture avec sa fille. Deux petits, totalement absorbés par un récit, sont blottis dans les bras de Cécile, jeune professeur de maths d’un collège de banlieue. « Ce partage avec les enfants permet d’entrer en contact avec des familles très isolées sur les plans culturel et géographique, souligne-t-elle, de créer des passerelles entre deux mondes qui ne se rencontrent pas. »

« En prenant le temps de lire en tête à tête avec un enfant, on lui signifie qu’il est important. Il a la liberté de s’arrêter sur une illustration, de poser des questions. Le livre n’est plus du tout associé à l’école et à la contrainte », explique Marie Aubinais, auteure de presse jeunesse, engagée bénévolement comme « alliée » d’ATD et auteur d’un livre sur les bibliothèques de rue. Ce qui n’empêche pas une sélection rigoureuse des ouvrages, choisis pour la qualité de leur écriture, la force de leur histoire, leur côté drôle, inattendu, la puissance d’évocation du graphisme. « Un livre bavard, sans intérêt, et les enfants décrochent », poursuit-elle.

Abdel, 12 ans, tourne à vélo autour du tapis. « Lire ? Bof, non pas tellement… à part des livres de foot ! Mais j’aime bien la bibliothèque de rue. » Il ne rate aucune des sorties organisées par les animatrices. Il y a quelque temps, les enfants sont allés visiter le quartier du Marais, la place des Vosges, au cœur de Paris : « C’était beau ! » Et le dimanche suivant, ils sont allés ensemble au Trocadéro pour la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre. La misère, personne ici n’a envie d’en parler, surtout pas Abdel. Mais il sait que la discrétion de ses amies du samedi n’est pas de l’indifférence.

17 h, déjà. Les petits sont raccompagnés à l’hôtel en une joyeuse procession. Pour les alliées d’ATD, l’après-midi se termine dans un bistrot autour de l’ordinateur portable de Marie Aubinais. L’équipe égrène les prénoms des enfants présents, consigne tout ce qui s’est passé : les échanges, les marques de confiance, les choses dites et non dites, les imperceptibles gains en savoir, en liberté, en dignité… Cette relecture permet de prendre la mesure des progrès ou des difficultés qui persistent, de partager son émotion, son indignation face à des situations graves. C’est aussi une façon d’écrire la grande histoire des familles en galère. « Le mouvement ATD s’appuie sur cette réalité pour alimenter ses plaidoyers auprès du monde politique, pour que des lois soient votées et surtout appliquées, explique Marie. Une fois qu’on connaît personnellement des gens dans la pauvreté, le regard change, et on a envie que les choses bougent. »

Dominique Fonlupt

Si ça vous intéresse…

• Les bibliothèques de rue recrutent des bénévoles. Vous êtes convaincu que la lecture est le socle du développement, de l’autonomie, vous aimez la compagnie des enfants, lire à haute voix, vous êtes prêt à vous engager deux ou trois heures par semaine avec assiduité ? Contactez ATD quart-monde, tél. : 01 42 46 81 95, savoir.dans.la.rue@atd-quartmonde.org

• Pour tout savoir sur leur esprit, leur histoire et leur fonctionnement, lire “les Bibliothèques de rue. Quand est-ce que vous ouvrez dehors ?”, de Marie Aubinais, Bayard et Éditions Quart Monde, 17 €.