La conférence donnée par M. Jacques Huntzinger sur le thème « Le Monde Arabe, entre la crise et la renaissance ? », le samedi 27 février à la Faisanderie, et organisée par les Amis de La Vie de la Manche, a fait salle comble !
D’emblée, cet ancien ambassadeur de France en Israël et professeur au Collège des Bernardins à Paris, a averti son auditoire « Je ne me tournerai pas vers la France… Le monde Arabe est profondément différent du nôtre et il faut partir de lui pour le comprendre à travers 12 dates. »
En partant de la création de l’Islam par Mahomet en 622 et son exil à Médine, Jacques Huntzinger souligne que le « Prophète » crée le premier Etat Islamique, dans le désert arabique. Pour susciter l’unité des peuples arabes, il fonde un 3ème monothéisme –l’Islam, après le Judaïsme et le Christianisme – et entreprend ainsi que ses successeurs, la conquête de l’Empire Perse et de l’orient jusqu’en Espagne ! Mahomet est à la fois un « Prophète » et un « Roi », associant les pouvoirs religieux et politique…
Mahomet étant mort sans avoir désigné son successeur, deux clans vont alors s’affronter : les partisans d’Ali, gendre du Prophète, et sa famille (les « Chiites » qui sépareront les pouvoirs politique et religieux) et celui des compagnons de Mahomet (les « Sunnites » qui confondront pouvoir politique et religieux) et qui fonderont le Califat. Un Sunnite vénère plus un Chrétien (croyant monothéiste), qu’un Chiite (apostat à combattre !).
Le rôle des puissances occidentales
Traversant l’histoire de l’Empire Ottoman, et du « Wahabisme » saoudien qui deviendra le « Salafisme », notre conférencier décrit alors le rôle des puissances occidentales (fin XIXème siècle). Celles-ci veulent dépecer l’Empire Ottoman en déclin, alors que le monde arabe s’éveille et veut sortir du joug ottoman. Face à l’Europe coloniale, deux conceptions s’affrontent : intégrer sa modernité et sa démocratie, alors que les fondamentalistes la rejettent !
En 1920, après la 1ère Guerre Mondiale, les vainqueurs se partagent les ruines de l’Empire Ottoman par « Mandats » donnés par la Société des Nations (SDN) : la Grande Bretagne se voit octroyée la Transjordanie et l’Irak ; la France, la Syrie et le Liban. Le monde arabe replonge dans son malheur car les puissances occidentales vont le refonder en fonction de leurs intérêts avec les Accords de Sykes-Picot.
Le Royaume Uni fait la promesse d’un foyer national Juif, face à des Palestiniens n’existant pas en tant que nation (ce peuple est compris dans la grande Syrie). La Grande Bretagne donne le pouvoir aux Sunnites minoritaires en Irak, de même que la France confie le pouvoir aux Chrétiens au Liban, minoritaires, face aux Musulmans majoritaires… De ce partage naîtra une situation surréaliste « des nations sans état », Kurdes, Arméniens, Palestiniens, les « perdants » ; et des « états sans nation », Liban, Syrie… !
Le retour du religieux
1970 marque l’échec du nationalisme arabe laïque, sur le plan économique et sur celui de la construction de la société, car ces régimes sont autoritaires voire totalitaires ! C’est le retour du religieux, car il n’y a pas d’alternative avant les printemps arabes (2004).
1979, c’est la victoire de la révolution Iranienne contre le Shah d’Iran, avec l’Ayatollah Khomeiny qui établira le premier « Etat Islamique » depuis la fondation de Médine, qui va fasciner le monde arabe ! A la fin de l’année, l’Union Soviétique envahit l’Afghanistan : Les USA vont armer la résistance sunnite, ce qui va donner naissance plus tard aux extrémismes (Al-Qaïda…).
” Avec la 2ème guerre d’Irak, les USA vont détruire cet état fragile”
11 septembre 2001 : Ben Laden s’alimente de la frustration du monde Arabe en déclarant la guerre au monde occidental (et aussi aux chiites) : tout ce qui n’est pas religieux est impie ! Et c’est la destruction des Tours jumelles de New-York…
En 2003, avec la 2ème guerre d’Irak, les USA vont détruire cet état fragile (créé en 1920), au nom de la démocratie : pour les Chiites, ce sera l’occasion de prendre leur revanche sur les Sunnites, attendue depuis la défaite de Kerballa ! C’est la guerre civile, car les Sunnites, rejetés, sont souvent devenus fondamentalistes : ils voient en Daesh une force protectrice, car l’Etat Irakien et son armée sont vus comme des massacreurs et des nettoyeurs ethniques !
Le « Djihad mondialisé »
2011 : les « Printemps arabes » surgissent dans 12 pays. Seule la Tunisie réussit la transition. En Egypte, c’est le retour des militaires, et en Syrie, c’est la guerre civile…Aujourd’hui, ces sociétés qui ont vécu ces « printemps » sont tiraillées entre modernisation et traditions.
“Le piège tendu par Daesh, c’est la confessionnalisation des enjeux politiques”
Le « Djihad mondialisé » avec Al-Qaïda puis Daesh, combat d’une part les ennemis des sunnites proches (les « impies » incarnés par le Maréchal Sissi et Bachar-el-Assad), et les ennemis plus lointains (Les USA et tous les « Croisés occidentaux »). Ses adeptes (bourgeois marocains, jordaniens, et jeunes franco-marocains…) croissent de façon considérable : ils étaient 30 000 en 2010 et sont 10 fois plus nombreux en 2016 ! Le piège tendu par Daesh, c’est la confessionnalisation des enjeux politiques trouvant sa réponse dans le religieux, car il n’y a pas encore de 3ème voie…
Le débat aborde la question de Daesh : peut-on discuter avec Daesh ? Fallait-il intervenir militairement ? Il est normal de répliquer après les attentats de novembre 2015, mais il est primordial d’engager un travail politique sur la question irakiennne, en réintégrant les sunnites dans l’état, ce que les USA ont commencé à faire après 2004…
“Le monde arabe ne sortira de son malheur que lorsqu’il reconnaîtra la place des femmes dans la société.”
Comment l’Islam pourrait-elle devenir pacifique ? En se laïcisant, c’est-à-dire en se dissociant du politique… Deux ou trois générations seront nécessaires !
Dans ces événements historiques, quelle est la place des femmes ? Place Tahrir, ce sont surtout les femmes qui ont initié le mouvement. Le monde arabe ne sortira de son malheur que lorsqu’il reconnaîtra la place des femmes dans la société. Ces sociétés, bien que tiraillées entre traditions et modernisation, connaissent des évolutions réelles : une profonde modernisation marquée par une baisse de la fécondité par femme (qui passe de 7 à 3 enfants en 30 ans), l’apparition de nouvelles bourgeoisies de jeunesses arabes laïcisées et modernisées, et une progression importante de la scolarisation…
Pendant trois heures, l’auditoire est resté « suspendu aux lèvres » de ce spécialiste du Moyen-Orient, qui a su mettre le sujet si complexe de la situation du Monde Arabe, à sa portée : ce monde est tourné vers ses racines, nous l’avons compris grâce à l’Histoire. Merci Jacques Huntzinger !
Les notes de la conférence paraîtront prochainement sur le site des Amis de La Vie.
Chantal Vinson, correspondante locale du groupe des amis de La Manche