Laïcité et liberté : l’Esprit a soufflé sur Saint-Jacut-de-La-Mer

Chantal Vinson (Amis de La Vie de La Manche) était au colloque « Inventer la laïcité au quotidien » à Saint-Jacut-de-La Mer, les 24 et 25 janvier. 250 participants très motivés.

Les jeunes de l'association interreligieuse Coexister ont participé à la rencontre.
Les jeunes de l’association interreligieuse Coexister ont participé à la rencontre. © L. Grzybowski

En m’inscrivant début janvier à ce colloque, j’avais des questions personnelles quant à la place de la laïcité dans notre vie sociale et politique. Le partenariat avec les Amis de La Vie était pour moi une garantie de qualité sur la construction de la démarche et le choix des intervenants.

Les événements des 7 et 9 janvier sont venus décupler mes motivations pour le thème du colloque, en formulant des attentes sur le sens du terme « laïcité » pour les trois grandes religions monothéistes, ainsi que pour tous ceux qui se déclarent athées ou agnostiques, qu’ils soient dans nos frontières ou à l’extérieur.

Je n’ai pas été déçue ! Tant par la qualité et l’engagement des intervenants que par l’esprit d’ouverture et de bienveillance qui a régné pendant ces deux jours entre les 250 participants (repas, échanges informels…), quelle que soit la religion qu’ils annonçaient et quelle que soit leur génération. Il y avait des catholiques, des protestants, des musulmans, des juifs, des athées et des agnostiques.

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© L. Grzybowski.

Le public ? Une majorité de retraités, des « actifs » et une trentaine de jeunes faisant partie de l’association « Coexister ». A vrai dire, je me suis demandé si les membres de cette association qui comprend aujourd’hui 20 groupes en France, et dont le Président fondateur a 22 ans, Samuel Grzybowski, ne constituaient pas des « guides » pour les participants aux cheveux blancs, par leur capacité d’écoute, de calme et d’ouverture à la différence.

Le colloque s’est ouvert sur une célébration du Shabbat à laquelle tous ceux qui prenaient le repas du soir ont été conviés : cette plongée dans le Judaïsme a constitué un premier pont vers l’autre.

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© L. Grzybowski.

La députée Tunisienne Mehrézia Labidi-Maiza  (la seule femme qui soit intervenue, en dehors d’un très beau témoignage de Maguelone, engagée à Coexister, sur la situation israëlo-palestinienne et les préjugés que nous portons) m’a émerveillée par la finesse de ses analyses et la force de son engagement : qui a eu un rôle très important dans la révolution dite de « Jasmin » de décembre 2010- janvier 2011. Encore aujourd’hui, elle garde une grande influence dans la construction d’une « transition démocratique » en Tunisie. Elle a partagé avec nous ses convictions issues d’une conception de l’Islam avec un Etat non pas « laïque », mais « civil » qui associe un Islam ouvert aux Droits de l’Homme. Elle nous demande, à propos de la loi sur le port des signes religieux à l’école et dans les lieux publics, de « ne pas focaliser sur ce qu’on a sur la tête, mais dans la tête et dans le cœur ! »

Ce propos, elle l’a illustré de façon forte, profonde et bouleversante, de la part d’une femme politique portant le foulard, en retraçant son parcours d’engagement pour la Tunisie, au cours de la dernière rencontre du colloque. Elle a fait surgir en moi le souhait d’avoir davantage chez nous de politiques de cette « trempe » qui ose prendre des positions atypiques pour sortir des impasses. Sa position entre La France (où elle a fait ses études) et la Tunisie où elle vit, lui confère une crédibilité. Son expérience nous donne un éclairage pour que nous construisions à notre tour une « laïcité » à la Française ! Elle a prononcé les dernières paroles sous un tonnerre d’applaudissements et une « standing ovation » enthousiaste !

Nous avons aussi entendu Nicolas Cadene, représentant l’Observatoire de la Laïcité. Il a ouvert des pistes pour tenir compte davantage du rapport de Régis Debray sur l’enseignement du fait religieux à l’école, et pour conjuguer davantage l’aspect « respect de l’esprit de la laïcité » et celui de la « souplesse » de l’application des règles ; Il préconise en effet de ne pas se focaliser sur le « vêtement » qui ne constitue pas de risques en soi, mais sur le « comportement » de prosélytisme dangereux pour la liberté.

Je reviens de Saint-Jacut avec quelques convictions : ce n’est pas une loi de plus qui permettra le « vivre ensemble » en France, mais une volonté de rencontre et de dialogue dans des organisations politiques et de la société civile en s’appuyant sur

-le dialogue interreligieux entre les chrétiens, les musulmans, les juifs, les agnostiques et les athées dans un esprit de bienveillance qui laisse à l’autre sa place ; sur l’enseignement du « fait religieux » dans les écoles.

-une politique de la ville qui mélange les milieux sociaux dans les quartiers, sur une réflexion éducative qui intègre les parents, les enseignants et l’Administration de l’Education Nationale.

-un travail quotidien pour combattre les préjugés sur « l’autre » (différent par ses convictions, sa religion, ses options politiques…)

Ce qui me paraît un signe fort dans ce cheminement vers la paix en France et au-delà de nos frontières, c’est lorsque un groupe social ou religieux prend la défense d’un autre groupe : que des Chrétiens défendent le droit des Juifs, que des Juifs défendent des Musulmans – ou réciproquement.

Chantal Vinson,

correspondante des Amis de La Vie dans le département de La Manche.

Lire aussi l’article de Laurent Grzybowski sur www.lavie.fr : Quand laïcité rime avec fraternité