Que me reste-t-il de l’Université des Amis de La Vie à Evian, un mois plus tard ? Le temps faisant son œuvre d’érosion et donc de tri, je choisis de partager les deux éléments qui ressortent encore et persistent dans ma mémoire : un certain style de christianisme et un étonnement générationnel, par Valérie Le Chevalier, théologienne *.
A Evian, j’ai rencontré un certain style de christianisme. Outre le caractère fraternel et convivial qui caractérise les Amis de la Vie, j’ai été surprise par la quasi-absence de récriminations contre le cléricalisme, la crise des abus en tous genres qui salissent l’Église de France ou contre une société post-moderne responsable de tous nos problèmes internes. Non pas que les participants ne soient blessés ou indifférents car ils sont tous très engagés et militants d’un christianisme incarné et bien vivant. En ce sens, ils sont le visage ou les héritiers de ce « Troisième homme » décrit prophétiquement par François Roustang en 1966 dans la revue Christus.
Pourtant le thème « Croire encore ? à la rencontre de la quête spirituelle de nos contemporains » aurait logiquement pu susciter ce type de doléances, tant dans les diagnostics que dans les échanges. Mais non, il n’y avait pas lieu de perdre son temps à ce type de posture. Le Troisième homme de Roustang considérait que la « volonté de réforme commencée au Concile passerait désormais par lui et continuerait à travers ses propres efforts de lucidité » et que le seul témoignage crédible était la cohérence entre la foi vécue et la manière de vivre dans le quotidien. Finalement, ce style ou cette culture chrétienne n’est ni abandon ni opposition mais « un désintérêt tranquille à l’égard de cette montagne d’efforts qui accouche inlassablement d’une souris ». L’énergie déployée est uniquement consacrée à la quête d’une existence chrétienne digne de ce nom. C’est cela qu’il m’a été donné de rencontrer durant cette semaine à Évian.
Je rentre d’Evian avec un étonnement générationnel : plusieurs grands jeunes et trentenaires, des journalistes ou des acteurs de la société civile ou chrétienne, ont été invités à témoigner ou à participer à cette Université. Or quelle n’a pas été ma surprise de voir combien cette génération montante est admirative, et je pèse ce mot, de ces aînés dans la foi. Une admiration et un immense respect pour cette cohérence de vie et cette fidélité à l’Évangile. Une jeune femme me disait : « Cette génération qui nous précède attend de nous que nous reprenions le flambeau, mais nous ne pourrons rien faire si elle ne nous transmet pas le trésor spirituel qui est le sien ! » Cette attente est rarement exprimée ainsi et il faut l’entendre, la prendre au sérieux et y croire.
Il y a bien un trésor spirituel détenu par ces « Troisièmes hommes et femmes » qui, sans mots dire, se sont engouffrés dans la dynamique du concile Vatican II, exactement comme l’a décrit Roustang. Depuis de longues années, sans blablas ni lobbying, ils posent des actes et engagent une vie spirituelle enracinée dans une pratique religieuse vivante, mais toujours en quête de vérité et de cohérence.
La manière de procéder de l’équipe préparatoire a mis en œuvre ce qu’aujourd’hui on nomme un peu mystérieusement, la synodalité. Mais après tout, ce n’est jamais que la prise au sérieux – enfin ! – du style relationnel et hospitalier de Christ Jésus ressuscité qui s’approchant de deux marcheurs leur demande : « De quoi parliez-vous donc en chemin ? » La célébration de la Parole qui a clôturé cette Université, a repris cette pédagogie du dialogue en marchant. C’est peut-être cela qui rend crédibles et si attractives depuis plus de vingt ans, ces Universités ? En tous cas, je peux en témoigner : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
Valérie Le Chevalier
* Valérie Le Chevalier, est responsable du parcours Croire et comprendre au Centre Sèvres, université jésuite à Paris. Ses recherches en théologie fondamentales portent sur la place dans l’Église de ces catholiques dont on dit qu’ils ne pratiquent pas assez. Elle était l’invitée des Amis de La Vie à l’université d’Evian, du 22 au 27 ocotbre 2023, où 300 participants ont réfléchi à la façon d’aller à la rencontre de la quête spirituelle de leurs proches.