Emblématique photographe de mode du XXème siècle, l’artiste franco-américain à l’œuvre hétéroclite était exposé au Palais Lumière d’Evian jusqu’au 5 novembre. L’occasion pour le public chablaisien de faire connaissance avec les créations du père du Violon d’Ingres.
par Paul Rabaté
À la pointe de l’avant-garde artistique du XXème siècle, Emmanuel Radnitsky, dit “Man Ray” (1890-1976), n’a eu de cesse d’alimenter son ouvrage esthétique au fil de sa carrière. Figure du dadaïsme et du surréalisme, le natif de Philadelphie a baigné dans le renouveau artistique impulsé par ces mouvements dont Marcel Duchamp, avec qui il a construit une insigne complicité artistique, lui a ouvert les portes. Photographies de nu, peintures, cinéma : les quelque 480 œuvres exposées dans l’édifice art nouveau du Palais Lumière d’Evian témoignent de la riche diversité du travail d’un créateur pourtant méconnu du grand public.
Une œuvre lumineuse et des zones d’ombre
Désireux de s’intégrer dans le cercle de l’insouciance parisienne des années folles, Man Ray débarque à la capitale en 1921 dans une année qui agira comme un tournant pour son évolution personnelle. Celui-ci sera accueilli par un cénacle d’artistes issus du dadaïsme auprès duquel il trouvera inspiration. Également influencé par l’anarchisme aux origines de son art, Man Ray se fait l’héritier d’une grande variété d’ascendances artistiques, ce qui rend difficile toute tentative de l’inscrire au sein d’un mouvement. Une zone d’ombre qu’il se plaisait à entretenir dans son œuvre lumineuse, lui qui fut notamment célèbre pour avoir inventé la solarisation (un procédé photographique qui a pour effet d’inverser la densité du négatif et de mettre en exergue les formes du sujet du tirage).
Un personnage énigmatique
C’est précisément sur cet aspect du mystère Man Ray que Pierre-Yves Butzbach, co-commissaire de l’exposition et gérant de la photothèque Man Ray a souhaité pointer le doigt : « Définir la personnalité de Man Ray est quasiment impossible. On lui trouve plusieurs résonances qui rendent le personnage très difficile à cerner ». L’exposition s’attache ainsi à offrir à ses visiteurs des clés de compréhension d’un homme à la patte polyvalente, en commençant avec une entrée dans l’univers du parisien d’adoption par sa pratique de l’autoportrait, un exercice qu’il abordait avec humour en se travestissant ou en jouant avec les reflets du miroir (Autoportrait demi-rasé, 1943).
Outre son appartenance aux éminents mouvements artistiques de son époque, l’exposition ne manque pas de souligner les fréquentes collaborations entre Man Ray et les muses qu’il a été amené à rencontrer au fil de sa vie. Le caractère trempé de Kiki de Montparnasse, la fougue créatrice de Lee Miller ou encore la photogénie de Meret Oppenheim ont aussi bien concouru à la création du “Rayographe” qu’à la découverte de la solarisation dans l’œuvre du franco-américain. Une variété de techniques photographiques qui ont forgé la réputation solide d’un photographe de mode que Vogue et Harper’s Bazaar s’arrachaient.
Le visiteur fait ainsi connaissance avec l’histoire d’un nom qui manque de parler au grand public, la faute à « très peu d’expositions [qui ont été] organisées à propos de Man Ray » affirme résolument Pierre-Yves Butzbach. Une ignorance générale en dépit de l’impact artistique notable exercé par un homme qui a influencé un Joan Miró parmi d’autres et dont les tirages sont des références incontournables du monde de la photographie.
Un article de Paul Rabaté
Pour aller plus loin :
Robert Rocca, Pierre-Yves Butzbach (dir.), « Man Ray, 1890-1976 : Maître des Lumières », Silvana Editoriale, 220 p., 34,90 €.