Avec Geneviève Hubert, les détenus s’évadent par l’écriture

Depuis quatre ans, Geneviève Hubert, Amie de La Vie, organise bénévolement un « atelier d’écriture poétique et musical » au centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône. Rencontre.

(© Elena Vedere)

Par Elena Vedere

Le 18 novembre 2013, Geneviève Hubert allume sa radio. France Culture diffuse « Clairvaux, la voix des longues peines », un documentaire d’Elise Gruau, Véronica Collalti et Anna Szmuc, sur la Maison Centrale de Clairvaux, dans l’Aube. Elle tend l’oreille et découvre le travail d’Anne-Marie Sallé, directrice artistique des ateliers d’écriture de ce centre pénitentiaire. Une idée germe dans son esprit. Parallèlement, Geneviève est bénévole au sein du Groupement des Éducateurs sans Frontières (GREF), une association conventionnée par la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP). Un accord qui lui donne l’opportunité, en 2017, de lancer son premier atelier d’écriture.

Inspirée par France Culture…

Sans formation particulière, elle se rend à la maison d’arrêt pour dispenser ses cours. Elle y croise des détenus en attente de leur procès et placés en détention provisoire, ainsi que des prisonniers condamnés à une peine inférieure à deux ans. « Les détenus sont volontaires, explique Geneviève. Ils sont recrutés par l’ULE (Unité Locale d’Enseignement) et ne savent pas ce qu’ils vont faire. Mais en s’inscrivant, ils s’engagent pour quatre séances. » Service de l’éducation nationale, l’ULE propose des formations professionnelles et dispense des cours de préparation aux examens. Il permet aussi à des associations d’intervenir pour des cours de lecture, d’informatique ou de langue.

… Pour recueillir les “paroles des anges perdus”…

Les ateliers de Geneviève Hubert ont lieu le vendredi après-midi, de 13h45 à 16h30. « Comme les horaires du collège ! ». Conseillère Principale d’Éducation (CPE) pendant dix-neuf ans, elle n’a pas perdu l’habitude de gérer des groupes. Ses séances débutent en douceur : jeux et réflexions autour des mots, « recettes de cuisine ». « Les participants énoncent en trois mots leur recette du bonheur, de la sagesse… » Puis Geneviève lit des extraits de textes, des poèmes, ou des haïku pour les inspirer. « J’essaie de trouver des thèmes qui leur parlent. […] Par exemple, ils ont beaucoup aimé l’histoire d’Ulysse (dans “L’Odyssée”, d’Homère, ndlr). » Un récit d’aventure, de retour chez soi, de racines. Les participants se mettent ensuite à rédiger et, quand leur travail est abouti, sont librement invités à le lire à haute voix devant les autres. Mais si l’expression de soi n’est pas toujours facile, elle l’est encore moins en détention. « Ce n’est pas un monde de bisounours. Ça reste la prison, il ne faut pas donner à voir ses fragilités. » Mais s’ouvrir aux autres est aussi un tremplin pour connaître celui qui, le reste du temps, vit dans une aile opposée à la sienne. Alors souvent, l’exercice de Geneviève fonctionne.


Tout au long de la séance, Hocine, musicien accompagné de sa guitare, traduit leurs paroles. En changeant les mots en notes, il donne une dimension universelle aux textes. Pour Geneviève, « La musique est une écriture qui traverse les frontières car elle est déchiffrable dans tous les pays ».

” La parole permet aussi de guérir les détenus “

Séance après séance, Geneviève rassemble les créations de chaque prisonnier dans un livret personnalisé, remis en fin d’atelier. La dernière semaine, les détenus choisissent le titre de leur recueil et le partagent en le lisant devant une dizaine de personnes. Ainsi, ils donnent un second souffle aux “Paroles des anges perdus”, du nom de l’une des créations. Geneviève en est certaine : « la parole permet aussi de guérir les détenus ». Une fête, autre invitation au dialogue, est ensuite organisée. « C’est un instant rare. La plupart du temps, ils restent dans leur cellule, avec la télé allumée. » Ce moment de partage qu’est l’atelier n’a en revanche pas la prétention de procurer de la joie aux détenus. Par l’apprentissage, Geneviève espère juste leur donner une bouffée d’air. « Il y en a qui ne peuvent pas évacuer leur tristesse, mais j’essaye de leur donner envie d’écrire. C’est une minuscule aventure. »

…Et leur donner vie

Avec l’accord du centre pénitentiaire, ces travaux ont été exposés et lus à Villefranche-sur-Saône (Rhône) pendant la fête de la Fraternité. « Ceux qui disent habituellement qu’ils ne valent rien ont senti combien les gens avaient été touchés par leurs mots. » Les Caladois ont été émus par les récits des détenus, des écrits transpirants du vécu de leurs auteurs. Car les ateliers d’écriture supposent une forte charge émotionnelle, souvent réciproque. « C’est donnant-donnant : on reçoit aussi beaucoup. On sent en eux une envie de s’en sortir, une petite flamme, une grande envie de tendresse. À chacun de faire en sorte qu’elle ne s’étouffe pas. »

Depuis mars 2020 et les confinements successifs liés à la crise de la Covid-19, la dynamique instaurée par Geneviève Hubert et d’autres associations dans les centres pénitentiaires était coupée. « On sent que ça a manqué aux détenus. » Mais Geneviève n’est pas prête d’arrêter : elle prépare la prochaine rentrée et souhaite inscrire cet atelier dans la durée.

Texte et photo : Elena Vedere