Toute la semaine de l’université des Amis de La Vie, une vingtaine de lecteurs en soif de pratique artistique ont consacré deux heures quotidiennes à préparer la soirée du jeudi, qui se voulait participative. Plongée dans les coulisses de l’atelier théâtre et chant animé par la cheffe de chœur Elisabeth Varady et la metteure en scène Roxane Palazzotto.
par Hannah Marie, Lison Mesnil (texte) et François Boyer (photos)
Le grand auditorium du VVF d’Evian, doté d’un piano pour l’occasion, est propice à la création artistique. Sans exigence à l’égard des compétences musicales et théâtrales des participants, les intervenantes animent l’atelier de 14 heures à 15h30, le temps d’une semaine.
L’échauffement, ou porte de passage vers l’intériorisation
En cercle autour des deux femmes, les participants sont invités à travailler leur posture. Colonne vertébrale tenue, épaules relâchées et pieds ancrés au sol, l’attitude doit être soignée afin d’ « entrer en profondeur ».
« Descendre au plus profond de soi, en dessous des maux » : par sa voix calme et apaisante, Elisabeth Varady guide le groupe, qui se prête pleinement à l’exercice. Trois respirations à l’unisson rythment ce moment de méditation. Bientôt, des sons s’échappent. De concert, les participants mêlent leur timbre dans un exercice à bouche fermée. Un moment avec soi-même pour se relier aux autres.
Après s’être étirés et échauffés en frottant leurs mains, nuques et bras, les participants du groupe se scindent en deux, les uns restant dans l’auditorium pour travailler le chant, les autres suivant Roxane Palazzotto dans le but de mettre en scène quelques passages de l’Evangile.
L’hébreu pour « toucher la capacité créative des gens »
Entourée par les voix éclectiques de son groupe, Elisabeth Varady, jongle entre le piano et les participants, claque des doigts, se balance au rythme des chants. La magie opère ; « il y a de superbes voix ». Les psaumes sont mis en musique et de belles mélodies chantées avec justesse, vibrent dans la salle. Pourtant, Elisabeth confie s’être « lancée dans l’inconnu ». Alors qu’elle ne connaît pas les gens et leur niveau, elle doit mettre sur pied un chœur en quatre jours.
En polyphonie et en canon, trois chants sont travaillés, ce qui implique d’avoir une oreille musicale assez aiguisée ! Voici les critères sur lesquels Elisabeth les a sélectionnés : « Il fallait que ce soit accessible, relativement facile ». L’un des chants doit accompagner le travail théâtral comme un ostinato, dont le rythme reposerait sur les lettres d’ « Amen » en hébreu, mais aussi d’Hallelujah en anglais, et d’« Âmîne » en Arabe. Le titre du deuxième chant est « Hashivenu », «Notre frère », et le dernier « Shema Israël ».
Elisabeth Varady a donc mis l’hébreu au centre du travail musical. En effet, la diplômée de l’Institut d’Anthropologie Spirituelle (I.A.S.) fondé par Annick de Souzenelle suit un cursus d’hébreu biblique à l’université d’Angers. Pour elle, passionnée par la symbolique des lettres hébraïques qui « représentent une large partie de sa vie », celles-ci ne sont pas que des signes graphiques, « mais aussi des énergies ». Un moyen de toucher « la capacité créative des gens, alors que beaucoup sont formatés à la connaissance et au savoir occidental, avec l’angoisse d’être jugé et la peur de ne pas réussir » .
Pendant ce temps, côté théâtre
L’atelier s’ouvre sur un exercice qui « n’a l’air de rien » mais bouleverse Roxane Palazzotto. Il se déroule de la façon suivante : les participants doivent former une ligne horizontale au fond de la salle et, dans un élan commun, avancer. « Cet exercice fait ressortir l’unicité et la lumière de chacun d’entre vous » leur confie la metteure en scène. C’est une belle image de communion : « le groupe englobe, soutient, contient ».
« Être en soi et à l’écoute des autres » : c’est sa devise. La comédienne conçoit le théâtre et plus généralement l’art comme un support de la religion. La créativité artistique comme cheminement vers soi, vers sa foi.
La mise en scène des Évangiles, pour la célébration de jeudi, entre dans cette logique : la vocalisation des mots de l’enseignement ne laisse pas les participants indifférents. Par binômes, ils s’avancent face à face et incarnent la Parole. Les messages spirituels résonnent dans la pièce et profondément en eux : « J’ai redécouvert le sens de certains textes » témoigne Michel, ajoutant que c’était « dangereux émotionnellement », puisqu’il n’a pas pu parler après sa scène, tant il était bouleversé.
La célébration, ou une envolée de prières
Dans un décor sombre illuminé par une lumière orangée, les comédiens accueillent le public avec « Hashivenu ». Divisés en quatre groupes, ils évoluent en cercle, incarnant tour à tour des figures mystiques comme les anges ou le Christ en Gloire. Tout est lent, presque lourd, les chants et les scènes des Évangiles se mêlent dans une répétition cyclique.
A la fin de la célébration, les participants sont dans un état second, à la fois fiers du travail accompli et émus. « Le fait que ce soit cyclique m’a fait entrer dans une prière » déclare une participante, rapidement suivie par des hochements de têtes.
Lors du dernier chant « Shema Israël », les voix des spectateurs se sont mêlées à celles des choristes. Les larmes aux yeux, Solène confie « Ecoute Israël a résonné d’autant plus fort avec l’actualité catastrophique dans le bassin méditerranéen, moi je priais pour ces hommes et ces femmes ».
Interrogée quelques instants plus tard sur ce dernier chant, Elisabeth Varady précise que « ” Shema Israël ” signifie ” écoute à l’intérieur de toi et non pas à l’extérieur, écoute la présence, écoute ce qui parle en toi, écoute ce que tu es ” ». Un message qui n’est pas destiné à l’expansion coloniale, mais plutôt à l’écoute.
Un article de Hannah Marie et Lison Mesnil