A l’occasion de la publication du livre « Je voulais une chance de vivre », de Noémie Paté et Jean-François Roger (Editions de l’Atelier, 2020), avec Jean-François Roger, Isabelle Santiago, députée du Val de Marne, Timothée Maurice, de la fondation Apprentis d’Auteuil et Samim, 21 ans, afghan, arrivé en France à l’âge de 15 ans.
Pour voir la conférence, cliquez sur ce lien : Je voulais une chance de vivre – LE WEB DES AMIS (amisdelavie-dev.org)
Hier, on les appelait les MIE, les mineurs isolés étrangers. Aujourd’hui, on dit MNA, pour mineurs non accompagnés. Ils étaient environ 8500 en 2012 en France. Mais 40000 en 2019, selon l’Association des départements de France. Depuis la crise sanitaire, les arrivées ont diminué, peut-être de moitié. Derrière ces acronymes, derrière ces chiffres, il ne faut pas oublier une chose (que rappelle Jacques Toubon dans la préface du livre) : ce sont des enfants, nos enfants.
Alors qui sont-ils, justement ? En grande majorité, des garçons.
Ils proviennent essentiellement d’Afrique subsaharienne (de Guinée, du Mali, de Côte d’Ivoire), mais aussi un peu d’Afghanistan et du Pakistan, plus rarement du Bangladesh, du Maroc.
Pourquoi partent-ils ? Toutes les situations existent, mais souvent, ils ont connu des problèmes familiaux, la perte d’un père, d’une mère, des difficultés économiques, subi des situations politiques violentes.
Ils passent par l’Italie ou l’Espagne, souvent. Leur voyage est long et périlleux, notamment l’escale en Libye ou la traversée de la Méditerranée. Certains frôlent la mort ou perdent des proches avant d’atteindre l’Hexagone.
Des passeurs organisent leur odyssée. Le coût de cet exil clandestin est élevé. « Il faut au moins 15000 euros en cash » me disait Samim, que nous entendrons tout à l’heure.
Dans leurs valises, ils glissent des rêves. L’un revient fréquemment : devenir footballeur.
Mais ils emportent aussi avec eux des douleurs, des traumas, alourdis au fil du voyage, et qu’il faudra soigner une fois posés, loin des leurs, quand ils se forgeront une nouvelle identité.
En France, de Marseille à Calais, ils arrivent avec l’envie de vivre mieux.
Leur bagage scolaire est souvent léger. Ils veulent apprendre, s’intégrer, gagner leur vie, soutenir leur famille. Certains, qui parlent anglais plutôt que français, visent l’Angleterre comme destination finale, mais s’installent finalement en France.
Ces jeunes n’ont pas la nationalité française, par définition, séparés de leurs représentants légaux, donc isolés et sans statut juridique propre.
Depuis la loi de décentralisation de 1983, le département est responsable de l’enfance en danger. Les services de l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance, sont chargés de la protection des MNA. Sous sa responsabilité, ces jeunes, confiés à des associations, ont droit à un logement, des soins, une éducation. Et au respect de leurs droits fondamentaux, comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant.
L’ASE assure la mise à l’abri des primo-arrivants, et après l’évaluation de leur minorité, en principe dans un délai d’un mois maximum, leur prise en charge. A condition qu’ils soient vraiment mineurs et isolés, donc coupés de leur famille. Parmi ceux qui se déclarent mineurs, une partie serait en réalité de jeunes majeurs, avancent les pouvoirs publics. Pour vérification, les jeunes subissent des tests, notamment des tests osseux du poignet, qui posent question.
Quand le jeune est reconnu mineur, il est confié par décision du juge des enfants, au département jusqu’à sa majorité, ou à un autre département selon une règle de péréquation qui prévaut depuis 2014. L’ASE délègue à France Terre d’asile, la Fondation d’Auteuil ou d’autres associations la tâche d’accompagner ces mineurs isolés au plan social, éducatif, scolaire. Ils sont aidés dans leurs démarches auprès des préfectures pour obtenir un titre de séjour. A leur majorité, ceux qui obtiennent un Contrat jeune majeur continuent d’être pris en charge par le département et accompagnés par l’association jusqu’à 21 ans. Ils bénéficient alors d’une allocation. Une aide précieuse que les départements ont hélas tendance désormais à limiter.
Les associations soutiennent ces jeunes en vue de leur régularisation et de leur insertion. Une fois adultes, certains restent en contact.
Ceux qui se voient refuser un titre de séjour reçoivent en principe de la préfecture une OQTF : Obligation de quitter le territoire. Mais seules 10 à 20 % de ces décisions d’éloignement seraient exécutées.
Journaliste, j’ai fait de nombreux reportages relatifs à l’immigration, des Canaries à Lampedusa, de Malte à la Castille. Et j’ai travaillé deux fois sur ce thème des mineurs isolés.
En avril 2016, j’ai effectué un reportage à Calais et à Saint-Omer, avant le démantèlement de la jungle. Nous verrons avec nos invités que le Pas-de-Calais, comme le Val de Marne, ont mis en place des dispositifs innovants pour les MNA.
En octobre 2018, je me suis rendue dans les Bouches-du-Rhône. J’y ai découvert que les MNA, soupçonnés de tricher sur leur âge, étaient parfois traités comme des délinquants et dormaient à la rue, notamment aux abords de la gare Saint Charles. Des mineurs avec OPP, Ordonnance de placement provisoire prise par le juge des enfants, n’étaient pas toujours pris en charge, dans un département qui se montrait dépassé. J’ai vu un conseil départemental qui ne considérait pas les MNA comme des mineurs mais plutôt comme des étrangers, reprochant à l’État de les avoir laissés entrer sur le territoire. Martine Vassal, la présidente du département (LR), se plaignait d’un budget surdimensionné (20 millions d’euros) qu’elle leur consacrait. A plusieurs reprises, le tribunal administratif a condamné les Bouches-du-Rhône à verser une astreinte tant qu’ils ne s’occuperaient pas de ces jeunes dignement.
Voilà pour mon expérience.
Je terminerai par une autre anecdote de terrain, découverte incidemment en Ardèche en mars 2021. Dans la ville d’Annonay, où je faisais une enquête sur la Justice, j’ai pu assister à une audience de rappels à la loi d’un délégué du procureur envers des mineurs. Il y avait notamment un jeune Guinéen de 18 ans poursuivi pour avoir volé des écouteurs dans un supermarché. Il n’a été qu’admonesté et pas condamné -c’est le principe du rappel à la loi, qui concerne des « primo-délinquants ». Mais l’éducatrice qui l’accompagnait a semblé vraiment inquiète quand à ses chances de régularisation, même quand le délégué du procureur l’a assurée que le casier judiciaire de son protégé resterait vierge, et qu’il pourrait devenir maçon en France comme il le souhaitait. J’ai vu, et je suppose que la situation est fréquente, un accompagnement associatif très humain et des services de l’État, en l’occurrence une préfecture, soupçonnée de sévérité, de rigidité, de coeur sec.
Corine Chabaud, grand-reporter à La Vie, modératrice de la conférence.