Aimée Lokake, présidente de la communauté congolaise au Maroc et secrétaire générale des migrants subsahariens, a fui la RDC en 2006. Après un trajet éprouvant durant lequel elle a perdu de vue son fils, elle s’est installée au Maroc avec une préoccupation : réunir sa famille.
« À quoi sert-il de témoigner à chaque fois ? Vous connaissez déjà les réponses… » Les cheveux soigneusement cachés derrière un léger foulard, la jeune Congolaise Aimée Lokake fixe avec défiance les Français en face d’elle. Le public, rassemblant plus de 150 lecteurs du journal La Vie (Amis de La Vie), frémit dans la salle de conférence de l’hôtel de Rabat où ce groupe passe la semaine à l’occasion de son université d’été. L’atmosphère de ce vendredi 14 juin, jusqu’ici joyeuse, est à présent silencieuse.
Le départ forcé
« J’étais bien dans ma famille. J’avais un mari qui travaillait au gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) à l’époque [en 2006]. Tout allait bien et j’étais très heureuse. D’un coup, tout a basculé. » Un soir, des militaires se présentent chez Aimée et emmènent son époux. La scène est incompréhensible pour cette mère de famille effrayée, enceinte de six mois et déjà maman d’un enfant en bas-âge.
La décision est prise rapidement ; il faut quitter la RDC. L’insécurité latente la pousse à gagner Kinshasa en pirogue, aidée par des amis. La peur d’être poursuivie l’entraîne jusqu’en République Centrafricaine, puis, au Cameroun.
La grâce de Dieu
« Là-bas, on m’a dit : “Au Maghreb, tu pourras trouver du travail, les gens sont blancs”. » Son trajet, via les passeurs, l’amène à faire escale au Niger, où elle retrouve un prêtre, ami de son père. Consciente des obstacles qui l’attendent dans son exil, Aimée Lokake confie son aîné, Dominique, à l’homme de Dieu.
Son second fils de six mois dans les bras, elle reprend la route. Puis vient la traversée du désert, pour atteindre la frontière algérienne. En pleine nuit, le véhicule dans lequel elle se trouve est arrêté par des militaires. Les hommes armés fouillent l’habitacle de la voiture et ses passagers. D’une voix calme, le visage impassible, elle raconte : « Ils ont séparé les hommes et les femmes. Ils ont dit : “déshabillez-vous.” Ils ont emmené les filles les unes après les autres. » Aimée devine la suite. Bientôt, ils s’occuperont d’elle. Alors que l’étau se resserre, le fils d’Aimée fait une crise d’asthme. Les militaires hésitent, leur chef arrive, la toise : « Ton fils t’a sauvé”, lâche le tortionnaire. « Grâce à Dieu » soupire la jeune femme.
Après l’Algérie et l’arrivée, enfin, au Maroc, pas de téléphone, pas de papiers et la peur viscérale d’être renvoyée « dans le désert » par la police du pays qui expulse régulièrement les migrants. Elle obtient un titre de séjour et se lie d’amitié avec des Congolais sur place, jusqu’à être élue présidente de cette communauté avant de devenir la première femme secrétaire générale des migrants subsahariens au Maroc.
Retrouvailles
Et son fils aîné, qu’est-il devenu ? Aimée Lokake a pu retrouver sa trace grâce à un service méconnu de la Croix Rouge, le service de Rétablissement des liens familiaux. Lorsqu’elle évoque Dominique, Aimée bascule sur un ton affirmé. L’enfant, envoyé chez une de ses cousines en France, a été abandonné ensuite en centre social. Aujourd’hui sain et sauf, il vit entre les familles d’accueil et les foyers, après être devenu « pupille de la nation », ce que Aimée Lokake traduit par « il appartient à l’Etat français. » Son combat pour être de nouveau à ses côtés est au centre de toutes ses revendications. « Je veux mon fils, ici, au Maroc. » Mais la situation est compliquée. Elle n’a pas l’autorisation de quitter le Maroc, et lui de sortir de France. En 2016, elle a pu le revoir pour la première fois. Trois jours seulement. Mais elle ne désespère pas, même si l’attente parait interminable. « Tout ce que je souhaite, c’est enfin réunir ma famille. » Dominique aura 14 ans le 22 décembre 2019, pratiquement la veille de Noël…
À ce jour, Aimée Lokake s’est mise au service de ceux qui partent de chez eux, comme elle. En se servant de son expérience, elle les conseille pour « suivre une formation et ensuite retourner au pays si possible ».
Lorsqu’on demande à la jeune femme ce qu’elle voudrait dire aux Français en face d’elle, dans l’assemblée, elle répond sans détour : « Pourquoi refusez-vous aux Noirs l’entrée de vos pays ? C’est comme avec les enfants. Si vous leur dites de ne surtout pas ouvrir une porte, il vont être curieux et vouloir la forcer. Il en est de même pour les frontières européennes. »
En février dernier, Aimée Lokake est retournée en RDC pour quelques jours. Elle y a retrouvé ses amis et une partie de sa vie. Mais beaucoup de choses ont changées. « Si je n’avais pas eu si peur, je ne serais pas partie. J’aurais pu être beaucoup mieux chez moi, en RDC. » Si elle ne regrette rien de la vie qu’elle s’est construite au Maroc – à la force du courage – son regard se voile et elle confie doucement qu’elle aimerait, un jour, rebâtir chez elle.
Texte et photos : Rafaèle Carra