Le mercredi, jour de sortie à l’université d’été des Amis de La Vie, une quinzaine de personnes ont suivi les traces de hommes qui ont forgé le maquis.
1 289 mètres. Nous sommes à Gève et l’ascension ne fait que commencer. Sur le parking, d’autres randonneurs se préparent. Il n’est pas 10h30 que le soleil éblouit déjà et chauffe les mollets des grimpeurs. Autour, des pins à perte de vue. Un peu plus bas, le refuge de Gève, un ancien campement d’hiver des Maquisards. Ces hommes, une soixantaine, n’entretenaient aucun contact avec les habitants des villages alentours par mesure de sécurité. « Je pense que c’est ce qui a fait défaut au maquis de la Drôme et qui explique son massacre », considère le guide Rémi.
Les voix des compagnons de marche sont accompagnées, en fond, par le son des criquets et le chant des oiseaux. Le groupe monte avant de tourner à droite, sur une route plus étroite et anciennement pratiquée par les résistants. La senteur de pin séché, mêlée à celle de la terre encore humide imprègne les lieux. Le chemin est bordé par endroits de lapiazs, ces pierres calcaires dont est recouvert le Vercors et qui sont modelées par le ruissellement des eaux de pluie.
Il faut escalader toujours plus de rochers et l’avant de la troupe ne porte pas à la randonnée les mêmes intérêts que l’arrière. Tandis que les uns parlent botanique, les autres échangent sur l’histoire. De temps à autre, les voix se taisent, laissant seuls les bruits de pas s’accorder avec les ramages aigus. Un arrêt est marqué avant d’atteindre la glacière et le guide éclaire sur quelques points. Les résistants sont une armée qui est préparée pour aider les troupes au moment du débarquement, et non pour couvrir des missions intermédiaires. Leur formation est assurée par les quelques militaires présents, la plupart étant des jeunes fuyant le STO. Ils avaient organisé les choses de telle manière qu’il y ait un aérodrome et des grottes servant à entreposer matériel et nourriture. Ces grottes couvrent une large partie de ce récif de 80 kilomètres par des galeries souterraines reliées entre elles, souvent sur une dizaine de kilomètres.
“Tout en haut, le ciel, l’impression d’un vide au-delà de la terre visible.”
Les courants d’air frais annoncent que la glacière n’est pas loin. Entre deux arbres, le groupe a la meilleure vue sur les congères quelques mètres plus bas et la bouche d’entrée de la grotte. La fraîcheur de la neige entassée décide les participants à reprendre la marche. Le ciel est bleu entre les branchages et les rayons du soleil traversent les feuilles.
Le prochain objectif est le Pas de la Clé. La flore environnante amène nos marcheurs à mentionner l’article du hors-série de La Vie sur la communication des plantes entre elles. La digitale fait débat. Les souffles se coupent au sommet. Le plateau de Mantours qui s’étend aux pieds des randonneurs semble être prisonnier des massifs. Le soleil tape fort et les dos rougissent peu à peu. Le criquet qui chantait s’est tu à leur passage. L’ombre fera office d’abris le temps du repas, la découverte du pique-nique enthousiasme alors autant que celle du Vercors, le guide ayant pris soin de sublimer les deux en offrant de la liqueur de pin.
Suite de l’ascension. Tout en haut, le ciel, l’impression d’un vide au-delà de la terre visible. Les Amis profitent quelques instants de la vue puis continuent de longer la crête. Derrière les arbres, un plateau, avec une table d’orientation et une grande croix de fer. Nous sommes à 1 554 mètres d’altitude, au Bec de l’Orient. L’autoroute en contrebas, celle – la même longeant le fleuve de l’Isère et se jetant dans la Seine, ramène à une forme de réalité de laquelle le groupe étions jusque-là coupés. Le temps pour nos randonneurs de faire un point sur la géographie des lieux : « L’Ouest de ce côté » ; « Là-bas on a pique-niqué » ; « Et Voiron ? »
Arrivés au sommet, il faut redescendre. Le plus prégnant de la visite est certainement l’Avion, à 1 430 mètres. Le 2 février 1944, un quadrimoteur de la Royal Air Force transportant le matériel et les armes destinés aux Maquisards s’est écrasé, pris dans une tempête de neige. Sept Britanniques se trouvaient à bord. En mémoire, une stèle est érigée, entourée des débris de l’engin. Le dernier arrêt de la randonnée sera le recueillement auprès de cinq jeunes épicéas qui avaient pris racine sur la roche entraînant le tout, par leur poids, vers l’arrière. La sortie s’achève et les chiens loups du refuge hurlent à la mort, pleurant le départ des marcheurs. Les participants se quittent le cœur conquis et des images plein la tête. Pari réussi pour le guide Rémi !
Garance Bernard