Lundi 3 juillet à l’université d’été, la première conférence de la semaine était animée par le sociologue des religions, philosophe, traducteur et éditeur aux éditions du Seuil, Jean-Louis Schlegel. Celle-ci avait pour thème : « La bataille culturelle, le conflit des principes ». L’occasion d’aborder des thèmes comme la mémoire, la déradicalisation et le transhumanisme.
Quelle est la place de la mémoire dans la construction de notre identité nationale ?
La perte de la mémoire, même proche est grande. Les jeunes ne savent plus ce qu’il y eu il y a dix ans. La France perd la mémoire de son histoire et, pour cela, il est nécessaire de distinguer deux formes de mémoires : celle des historiens qui en exerçant un regard critique sur les documents qu’ils étudient cherchent à établir la vérité historique (profession relevant des Sciences Humaines) et celle du roman national qui recoupe une seule histoire imprégnée de hauts faits et hauts lieux dont la naissance est datée du XIXème.
Aujourd’hui les discours sont toujours empreints de la polémique liée à la colonisation : qu’avons-nous fait ? Quelle mémoire ? Quelle justice leur devons-nous ? D’ailleurs en 2005, les lois Raffarin qui soumettaient l’apprentissage à l’école des effets positifs de la présence française dans les colonies, et particulièrement en Afrique du Nord, ont suscité de vifs débats. L’Histoire que l’on fait connaît autant de critiques que d’oublis.
Les cellules de déradicalisation sont-elle vraiment efficaces ?
Je me retrouve dans la position d’Olivier Roy pour qui les djihadistes utilisent la religion comme support d’une révolte personnelle. Il émet des réserves quant à ces cellules qui perdent de leur efficacité car elles cernent maladroitement le problème qui est indépendant de toute conviction religieuse. En ce qui concerne le mot même de déradicalistion, comment le définirions-nous vraiment ? Est-ce un problème psychologique ? Il pourrait être constructif de mettre au point des procès et des condamnations particuliers lors du retour des pays du Moyen Orient. Mais les juger reste un point pour le moment délicat et ne trouve pas écho auprès de tous en raison de la difficulté de discerner entre un plausible trouble psychologique des individus et une action délibérée, revendiquée.
La prison ne se trouve pourtant pas être le moyen le plus à même de résoudre durablement le problème de déradicalisation…
Oui en effet, il reste le problème du confinement des individus entre eux et de la fomentation de leurs idées radicales.
Le transhumanisme constitue-t-il un progrès pour l’humanité ou, au contraire, est-il un danger ?
Dans nos sociétés, la parole peut dire ce qu’elle veut (comme la notion d’immortalité), mais se trouve en décalage avec la réalisation, qui n’est pas permise par la technique. Les moyens techniques, les découvertes techniques, comme l’implantation dans le corps humain de processeurs, restent quelque chose de troublant.
Pour beaucoup, l’évolutionnisme est avant tout une dimension spirituelle. Dans la conception du Pierre Teilhard de Chardin, il y a de cela cinquante ans, l’Homme peut être plus par le spirituel. L’Homme se grandit par l’esprit et ne nécessite pas de croisements génétiques en vue d’une amélioration de ses capacités. Je n’ai pas peur du transhumanisme, mais nous sommes dans la continuité de Prométhée : la recherche de la maîtrise totale de la nature. L’Homme est fort pour inventer la technique, mais elle nous domine alors que nous prétendions dominer grâce à elle.
Pensez-vous que les accusations de Manuel Valls à l’égard des sociologues puissent avoir une retombée néfaste sur votre profession ?
Je ne pense pas, je pense que ce sont davantage des propos qui lui coûtent cher. C’est un jeu qui se veut politique en raison de son avenir compromis. Les contestations à la suite des propos de l’ancien Premier ministre dénoncent une laïcité très dure et très offensive, ce qui pour bon nombre est insupportable. La laïcité crispée répond à une religion qui fait peur.
Les sociologues répondent et souligne l’importance d’étudier les quartiers, ils fournissent des outils mais ce sont aux hommes politiques de prendre leurs responsabilités. Le problème est que le politique est en calcul permanent, centré sur ses intérêts. C’est à ce titre qu’un désir de démocratie davantage participative émerge.
Propos recueillis par Guilhem Fabry et Garance Bernard