Lundi soir, à l’université d’été des lecteurs de La Vie, deux Palestiniens étaient conviés à la projection du film documentaire “Au pied du mur”. Guides de randonnée, Hejazi Eid et Jehad Halayka ont monté la Palestinian Association for Mountain Sport Developpement (PAMSD), une association de marche qui aide les Palestiniens à se réapproprier leur pays.
Hejazi, Comment avez-vous eu l’idée de monter cette association ?
HE : Guide, j’ai commencé à recevoir des groupes en 1998. Très vite, je me suis rendu compte que les touristes que j’accompagnais connaissaient très bien la Palestine, souvent même mieux que les Palestiniens rencontrés pendant les visites. J’ai alors eu envie de donner aux Palestiniens la possibilité de se réapproprier leur culture par la marche. L’autre but de l’association est de promouvoir la randonnée dans le pays.
Quel est votre lien avec le Vercors ?
HE : En 2013, j’ai eu l’occasion de rencontrer M. Georges Elzière, Grenoblois et ancien président de la Fédération de Club Alpin Français (FCAF). C’est une amie commune, Françoise Guyon, qui nous a présenté. Il m’a expliqué qu’il avait aidé à la création d’organisations similaires à la leur au Maroc et en Algérie. Nous avons alors signé un accord avec le FCAF, et l’association a été créée dans la foulée.
“Des enfants, des personnes âgées ou des hommes d’affaires marchent pour découvrir leur terre.”
Quel genre de public avez-vous en Palestine ?
HE : Il y a toujours une place pour nos amis de partout dans le monde, mais c’est avant tout une association créée par des Palestiniens pour les Palestiniens. Sans distinction de classe, d’âge ou de confession. Des enfants, des personnes âgées ou des hommes d’affaires marchent pour découvrir leur terre. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au vu de la situation actuelle, notre mobilité est réduite, et pour cette raison-là, beaucoup ne connaissent leur pays que de façon très lacunaire. Nous voulons que nos compatriotes sortent de leurs villes et villages et découvrent notre magnifique pays. Les gens ne croyaient même pas qu’une telle beauté pouvait être accessible à quelques kilomètres seulement. Après trois ans de travail dans ce projet, avec des gens comme Jehad ici présent et les autres nous avons beaucoup avancé. Chaque semaine un nouveau groupe de Palestiniens veut marcher à nos côtés. Ils viennent à la fois des universités, d’écoles… Nous avons même marché avec de jeunes enfants atteints du cancer ! Notre prochaine étape c’est l’escalade en Palestine Insha’Allah * rires *
“Les frontières psychologiques sont dans le cœur de chaque Palestinien.”
Quel type de problèmes avez-vous rencontré vis à vis des frontières durant vos marches ?
HE : Il y a deux sortes de frontières. Les frontières physiques et les frontières psychologiques. Les premières sont celles que vous connaissez, créées par l’occupation depuis 1967. Elles sont matérialisées par les murs, par les colonies mais aussi par les check-points séparant les différentes zones de Cisjordanie (voir carte ci-dessous).
Les frontières psychologiques sont dans le cœur de chaque Palestinien. C’est très difficile pour nous de laisser nos proches traverser une colonie ou passer un check-point. Il y a en effet un risque : les Palestiniens peuvent être agressés par les colons ou la police. Mais notre but est de les faire dépasser cette barrière qui semble infranchissable. S’il y a des check-points, nous les traverserons. C’est notre terre et nous avons le droit d’y circuler, même dans les colonies.
Vous me disiez avant l’interview que votre deuxième volonté était de canaliser la violence et la colère, particulièrement celles des enfants. Comment a évolué cette violence ?
HE : Quand on vit sous l’occupation, on vit avec le risque d’être arrêté ou de voir ses proches arrêtés, battus parfois même tués. Si ce n’est pas le cas, on le voit tous les soirs à la télévision. En plus, la Cisjordanie est petite, pas plus de 5800km² (NDLR : environ la superficie du département des Vosges), tout comme Gaza, à peine plus grande que Marseille (360 km²). Il est facile d’entendre quand il y a des tirs. Et ces agressions quotidiennes par l’armée et les colons créent de fait un climat de dépression, de colère. Cette violence intérieure bouillonne et grandit lorsque l’on sent qu’on ne peut ni se projeter, ni faire, ni achever quoi que ce soit. Recréer du lien social étendu et se donner un but soulage énormément. On se retrouve soi-même et on commence à avoir une vision différente, plus positive.
Parlez-moi de l’aspect spirituel de ce projet
HE : La magie de la Nature nous fait respirer. Quand vous êtes connectés à la nature, vous êtes connectés au ciel, enfin si vous y croyez * rires *. Je pense en ce sens qu’elle nous relie au plus grand et aux autres. La solitude disparaît, et par le respect de soi même on ressent celui des autres. Je suis sûr que Jehad pourra confirmer que ça a été une grande expérience pour lui
Bonjour Jehad, comment en es-tu venu à pratiquer de la randonnée ?
JH : Hejazi et moi sommes de la même famille. Il travaillait déjà comme guide touristique, et je faisais des études de français à l’Université An-Najjah de Naplouse. Hejazi m’a proposé de travailler avec lui, pour pratiquer et développer ma pratique de la langue française. Madame Françoise Guyon est venu à notre département de français à l’université. C’est le début de notre projet avec le club alpin français. Après deux stages en France, je suis devenu guide en Palestine. J’accompagne des palestiniens et des étrangers pour découvrir le pays à travers la marche.
DB : Qu’as tu découvert de nouveau en Palestine ?
JH : J’ai rencontré beaucoup de gens d’ailleurs. Je pense que la randonnée est indissociable du tourisme. Nous avons une nature très riche. J’ai découvert de nombreux villages que je ne connaissais pas avant. Autour de la ville de Jénine par exemple, de Bethléem, Hébron et même Naplouse où j’ai pourtant étudié trois ans. Je me suis alors senti vraiment palestinien. Un guide palestinien dans les deux sens du terme, comme ceux qui suivaient les étoiles… Il y a très longtemps.
Propos recueillis par Dorian Borissevitch