Pour Sylvie Barnay, la vie de l’art n’est pas dissociable de l’art de la vie. Maître de conférences en histoire religieuse à l’Université de Lorraine, Sylvie Barnay a inauguré la 15ème université d’été des Amis de La vie, le 10 juillet 2016. Elle a présenté l’art comme un outil capable de rendre présent le passé.
Vous avez étudié les rapports entre les images médiévales et les images contemporaines, que dire de ce passé au présent ?
L’art contemporain fonctionne à contretemps. Par exemple, La Pietà du XIVème siècle d’Enguerrand Quarton est étroitement liée à la Pietà du Kosovo de Georges Mérillon. Il y a là une image qui convoque la douleur de toutes les mères en un cri qui traverse le temps. Toutefois ce n’est pas une répétition, un retour en arrière, l’art, comme le dit Peguy, n’est pas nostalgique. L’émotion est un fossile en mouvement, comme si le passé était présent et que le génie de l’artiste était de le recueillir, une émotion qui dépasse les cultures et permet aux peuples de se rejoindre.
“Le génie de l’artiste c’est de pouvoir créer une œuvre qui peut toucher tout le monde à un endroit intime.”
Vous avez effectué un long travail sur l’artiste turco-arménien, Sarkis. Quelle définition donneriez-vous de l’artiste contemporain ?
D’abord, il faut savoir qu’il existe plusieurs définitions de l’art contemporain. Certains définissent l’art contemporain comme ce qui succède à l’art moderne en 1950, comme une étape chronologique. Une autre définition est mise en place en 1869 qui définit l’art contemporain comme une attitude qui consiste à être non pas dans une production, un produit mais dans un processus, c’est-à-dire dans un mouvement. Un grand artiste ne fait pas un produit, il est dans un mouvement et va faire apparaître dans son travail le mouvement de la vie. Un vrai artiste c’est quelqu’un qui est traversé, ce n’est pas quelqu’un qui cherche à être reconnu. Sarkis, par exemple, ne signe pas ses œuvres. Le vrai artiste est celui qui justement préfèrerait ne pas être artiste. Pourquoi ? Parce qu’il faut pouvoir la vivre cette souffrance, ce cri, la vivre et y survivre. Et ce cri qui le traverse vient de plus loin que lui. Sarkis dit « transporter sur son dos de nomade la souffrance [de son peuple] ». Le génie de l’artiste c’est de pouvoir créer une œuvre qui peut toucher tout le monde à un endroit intime.
“Un vrai artiste c’est quelqu’un qui est traversé, ce n’est pas quelqu’un qui cherche à être reconnu.”
Dans votre conférence, vous prenez l’exemple du crucifix de Germaine Richier exposé à Notre-Dame-de-Toute-Grâce en 1950 et qui avait suscité la polémique. Pourquoi avait-on fait appel à un artiste contemporain ?
En 1950, il existait un groupe de personnes autour du père Couturier et de la revue « l’Art Sacré » qui souhaitait un retour du dialogue entre l’Eglise et l’art, comme c’était le cas au Moyen Âge. À l’époque, les gens continuaient à prier devant des œuvres qui avaient plus de 80 ans de date. Ce même groupe cherchait ainsi à rétablir les liens entre l’Eglise et l’art contemporain. L’église de Notre-Dame-de-toute-Grâce sur le plateau d’Assy, consacrée en août 1950, est devenue emblématique de ce type de débat. Ce phénomène a déclenché la foudre de tout un groupe de « traditionalistes » qui souhaitent retourner aux racines du christianisme. Or, le christianisme a pour matrice la pensée juive et Abraham signifie « marcher », le christianisme est donc un mouvement en marche qui avance dans l’histoire. Depuis cette querelle, on cherche à faire entrer l’art contemporain dans les églises. C’est d’ailleurs parfois l’État qui donne le la, comme à Conques où il a commandé des vitraux à Pierre Soulages.
Propos recueillis par Raphaëlle Boyer.