Psychothérapeute et céramiste, Christine Beck a animé un atelier intitulé “la parole de la terre” à l’université d’été. Elle se sert de son savoir pour aider les gens à avancer. Rencontre.
Comment décririez-vous ce que vous faites ?
Ce que je fais est un travail d’expression personnelle. Je guide les gens pour qu’ils créent une oeuvre. Ce n’est pas l’oeuvre d’art qui est l’objectif de mon travail. Je prends la terre comme une aide, comme un soutien à la parole. Parfois, on a du mal à s’exprimer par la parole, parce qu’on est anxieux ou parce que c’est difficile de confronter certaines choses. La terre est une parole qui vient à notre insu. Ce sont nos mains, pas notre tête, qui s’activent. Ce sont mes mains qui créent quelque chose que je peux voir après. Le fait que je puisse voir ma propre parole me fait prendre conscience de ce que j’ai à dire. La terre m’aide à m’exprimer.
“Ma technique est plus axée sur le déroulement que sur le résultat.”
Considérez-vous ce que vous faites comme de l’art-thérapie ?
Non. Le mot “art” me fait peur. Je trouve qu’il met la barre haute. Le terme “art-thérapie” met l’accent sur le résultat, et pour moi l’accent est sur le processus : qu’est-ce que je vis en faisant ce que je fais ? Ma technique est plus axée sur le déroulement que sur le résultat. Beauté, laideur, cela n’a aucune importance. C’est pourquoi le mot “art” est presque nocif à ma démarche.
Pourquoi avoir choisi l’argile ?
J’ai l’ai choisi pour sa plasticité. Je peux laisser mon empreinte, qui est unique, dans un matériau malléable. Personne ne peut laisser la même que la mienne. Je laisse mon empreinte, que la terre par sa souplesse accueille. De plus, la terre garde ma marque en mémoire. Bien sûr, il existe beaucoup d’autres moyens d’expression. La terre est mon média de prédilection, un vieil amour, mais pour quelqu’un d’autre, ce peut être la peinture ou la danse.
“Je me rends très souvent compte qu’une présence attentive et que la possibilité d’avoir une parole sont de vrais besoins, et qu’ils sont soignant.”
Pensez-vous que cette activité est aussi bénéfique seul qu’en groupe ?
Non, je ne pense pas. Je pense que créer, c’est aussi se créer, se montrer. Il est plus facile de se créer et de se montrer si c’est accueilli par quelqu’un d’autre. Nous avons besoin d’être soutenus. Par exemple, je peux parler toute seule, mais ça n’a pas la même force de soutien, ça m’encourage moins. Je suis dans mon atelier, oú je crée seule, ça me fait du bien mais je ne suis pas dans une situation thérapeutique. Thérapeutique veut dire “soignant”, et donc implique quelqu’un qui prend soin. Je me rends très souvent compte qu’une présence attentive et que la possibilité d’avoir une parole sont de vrais besoins, et qu’ils sont soignant.
Pouvez-vous donner un exemple concret des bienfaits de votre méthode ?
J’ai travaillé avec une femme souffrant d’Alzheimer. Elle ne pouvait pas parler clairement, il était difficile de la comprendre. La femme a créé quelque chose, c’était difficile, mais elle a réussi à créer. À la fin de notre rencontre, après des moments de tourments énormes, j’ai senti qu’elle était sereine. Quand j’ai dit “est-ce que vous voulez garder ce que vous avez fait ?”, elle a poussé l’oeuvre loin devant elle, et elle a répondu “non, c’est bon”. J’avais l’impression qu’une douloureuse histoire venait de se terminer. La femme était finalement apaisée, après des moments de pleurs et de désarroi. C’est dans le contact, dans la rencontre, qu’elle a pu se détendre. Parfois, c’est un tout petit pas en avant, mais ce mouvement vers l’ouverture est important. Je vois, à chaque séance de travail, des gens qui vont mieux. C’est la stagnation qui fait peur. Si on voit que ça bouge, c’est bien.
Propos recueillis par Eugénie Adlhoch-Mathé