Etait-ce l’urgence du sujet ? Le plaisir de conjuguer réflexion, culture et détente dans l’un des plus majestueux village de France ? C’est sans doute tout cela qui a permis le succès d’un week-end organisé à Rocamadour par les lecteurs de Corrèze, de Haute-Garonne, du Gers, du Lot-et-Garonne et de Dordogne, les 27, 28 et 29 mai derniers.
« Ce week-end à Rocamadour est né de notre proximité géographique, des rencontres amicales entre les cinq groupes de lecteurs du sud-ouest, et du partage des valeurs communes mises en avant par notre journal, La Vie», a rappelé Philippe Michelet, correspondant des Amis de La Vie à Brive en ouvrant le samedi 28 mai le week-end de Rocamadour consacré au « vivre-ensemble ». Comment construire de la fraternité dans une société marquée par une crise économique sans fin, le repli identitaire et la menace du terrorisme ?
Après une joyeuse veillée autour d’un jeu imaginé spécialement pour faciliter les échanges et se découvrir mutuellement au-delà des apparences, la session a commencé par une conférence de Jean-Louis Schlegel, sociologue, éditeur et directeur « intérimaire » de la Revue Esprit. « Nous voyons s’affirmer des radicalismes, des communautés basées fortement sur le spirituel, avec une dimension identitaire, a-t-il développé. Les religions qui devraient faciliter un vivre-ensemble plus harmonieux, apparaissent comme des facteurs d’intolérance, de sectarismes, de division. On est loin la miséricorde ! » Ce qui domine actuellement, c’est ce qu’Olivier Roy appelle la foi, sans la culture (voir son livre « La Sainte ignorance, le temps de la religion sans culture », éd. Du Seuil).
« Nous avons longtemps cultivé la vision d’une sécularisation qui avançait vers des terrains à conquérir inexorablement, a poursuivi Jean-Louis Schlegel. En effet nos sociétés fonctionnent globalement sans Dieu, mais il reste une foule de croyances disséminées. Plutôt que du vide de sens, nous souffrons du trop-plein de sens. » En citant Emmanuel Mounier (« L’événement est notre maître intérieur »), Jean-Louis Schlegel a proposé d’opérer un travail de réconciliation entre nos convictions et la nouveauté, l’altérité qui font irruption en permanence dans l’actualité et dans notre environnement. « C’est fatiguant, mais cela peut être source de joie profonde. »
Une expérience d’habitat social partagé
Habitat, quartiers, école, travail, monde rural, vie politique : les participants ont échangé au sein d’ateliers animés par des personnes responsables de différents projets dans la région ou ayant une expérience d’élu local. Isabelle Campion, coordinatrice de la maison intergénérationnelle, à Toulouse, est venue avec deux habitants partager l’expérience d’une résidence sociale construite récemment par l’association Habitat et Humanisme : 33 logements pour des jeunes, des seniors, des familles monoparentales. Vivre ensemble quand on partage une forme ou une autre de précarité est une sacrée école de vie !
Les résidents ont élu un Conseil de maison, afin de gérer eux-mêmes leur vie semi-communautaire : les problèmes de bruit, le ménage dans les parties communes, l’animation… « Ils arrivent avec des bagages lourds et on leur demande de vivre ensemble et de s’engager, dit Isabelle Campion. Certains jeunes ne parviennent pas à sortir de leurs problèmes individuels et ont du mal à participer aux tâches collectives. Ils s’extraient facilement de leurs responsabilités. Nous travaillons sur cette question par le théâtre d’improvisation… et par l’humour. »
Créer du lien à la campagne
Evelyne Mourgues, habite à Cuzac, 230 habitants, dans le Lot. Elle a vécu 17 ans dans le quartier populaire du Mirail à Toulouse. Avec son époux, ils se sont installés comme agriculteurs bio en 1998. Elle est venue parler des efforts nécessaires pour cultiver des liens dans un milieu rural qui n’est pas spontanément accueillant. « A la campagne, les rencontres sont limitées », dit-elle. Elle décrit une commune où les parcelles sont de très grandes tailles mais avec peu de terrains constructibles. Beaucoup de jeunes aimeraient y construire leur maison mais les prix restent élevés : « Certains propriétaires veulent tirer un maximum d’argent de leur terrain. Les familles qui parviennent à s’installer sont très motivées. »
Dans ce contexte, elle s’est employée à créer du lien. Présidente du comité des fêtes, elle a proposé des rencontres entre les générations, les anciens et les nouveaux arrivants. « C’est une réussite quand on voit lors d’une journée festive les écolos et les végétariens rencontrer le président de l’association des chasseurs ! »
Le web au secours des réfugiés
Autre rencontre réjouissante, celle de Nathanël Molle, co-fondateur et directeur général de Singa France. Singa, signifie « le lien » en lingala, langue du Congo, pays d’origine de nombreux réfugiés en France. Singa s’est donné pour mission l’intégration des réfugiés au sein de la société française. Objectif : leur permettre de devenir des citoyens à part entière. « Nous travaillons avec des personnes qui ont le statut de réfugiés et donc les mêmes droits que les Français, mais se retrouvent bloquées parce qu’elles ne peuvent pas exercer leur professions et mettre en valeur leurs talents, explique le jeune homme. Des algorithmes permettent maintenant de mettre plus facilement en lien des réfugiés qui recherchent un emploi et des employeurs, des nouveaux arrivants qui ont un projet d’entreprise et qui cherchent un associé. »
Grâce à un article paru dans La Vie, l’un des projets de Singa, le projet CALM (comme à la maison) a pris une ampleur inattendue. L’idée -au-delà de l’urgence humanitaire- est de permettre une rencontre entre des familles françaises et des réfugiés, pour que ces réfugiés apprennent à connaître la culture et les usages locaux. L’article de La Vie a suscité des milliers de propositions d’accueil !
Lire l’article sur Singa paru dans La Vie en août 2015
Génie de la société civile agissante et créative, d’un côté. De l’autre, des citoyens prompts à défendre l’entre soi : c’est la France, c’est l’Europe. « Dans les territoires, quand vous voulez construire une mosquée, une aire d’accueil pour les gens du voyage, ou toute autre infrastructure, c’est compliqué, souligne Christian Clastre, ancien professeur d’économie, élu et militant associatif dans la région toulousaine. Les habitants savent très bien monter des associations pour se défendre. Dès qu’il y a un conflit, dès qu’il faut protéger son territoire, il y a du monde ! »
“Les pauvres sont considérés comme des assistés, les chômeurs comme des profiteurs, l’impôt est diabolisé.”
Depuis l’après-guerre, l’économie de marché qui s’est mise en place en Europe a apaisé, voir camouflé le conflit entre les propriétaires du capital et ceux qui travaillent, a rappelé Christian Clastre durant la table ronde du dimanche matin. Ces affrontements ont donné naissance à des instances de régulation sociale, par le biais de l’Etat providence : redistribution des revenus, sécurité sociale et services publics. La nation consacre 50% du PIB à des transferts sociaux, mais aujourd’hui cette régulation est remise en cause : les pauvres sont considérés comme des assistés, les chômeurs comme des profiteurs, l’impôt est diabolisé.
Reconstruire la “convivencia”
Les lieux traditionnels du vivre-ensemble au sein des classes sociales se sont délités à fin des années 1970. Le milieu ouvrier avait une véritable culture, ses lieux de socialisation. Même chose pour les ruraux, la petite bourgeoisie. Mais ces collectifs n’existent plus et les antagonismes sont exacerbés par l’accroissement des inégalités, avec une fascination pour ceux qui vivent dans un monde d’argent avec pour résultat une énorme frustration.
Avec les Amis de La Vie, l’abondance de nourritures intellectuelles s’harmonise avec les moments de détente. L’après-midi du samedi a été consacrée à la découverte de la flore du Causse avec la botaniste Colette Gastou, correspondante des Amis à Toulouse, de la Rocamadour spirituelles ou des producteurs de foie gras, de cabécou ou d’huile de noix.
Invité à une relecture du week-end, Paul Malartre, président de l’association des lecteurs faisait remarquer que même si la question du vivre ensemble est un vaste chantier dont l’issue n’est pas gagnée, tous les textes et chants choisis pour la veillée parlaient d’espérance. A Rocamadour, une soixantaine de lecteurs du sud-ouest ont réaffirmé leur volonté de travailler à la « convivencia », l’un des plus puissants mots de l’occitan.
Dominique Fonlupt