Les Amis de La Vie du Pas-de-Calais ont reçu Morgan Railane, journaliste indépendant et directeur de Channel agence de Presse, le 19 mai dernier à Tatinghem pour une conférence sur le Moyen-Orient.
D’abord Morgan Railane a tenu à dénoncer des clichés sur l’Orient musulman. Il n’est pas monolithique, mais traversé par des débats, comme dans le Christianisme. C’est une problématique européenne depuis les croisades et la colonisation. Ce n’est un corps ni étranger, ni récent. Une hypothèse ne donne-t-elle pas une origine arabe aux villes de Perpignan et de Ramatuelle, par exemple ?
Orientaux et Occidentaux se connaissent et se fréquentent de longue date en Espagne, France, dans les Balkans, etc. Ils ne sont donc pas étrangers les uns aux autres. En matière de religion, le conférencier souligne une certaine continuité entre le judaïsme, le christianisme et l’islam, une sorte de filiation. Enfin, tant de contacts ont été établis par le commerce, notamment à l’occasion des croisades.
Ainsi, Morgan Railane veut mettre en valeur le fait que les désordres au Proche et Moyen Orient et leur impact religieux, c’est une longue histoire, pas seulement de guerres, mais aussi de traités de commerce. Il évoque alors la Route de la soie, le long de laquelle ces régions furent un carrefour, comme elles le seront à terme avec des voies de transport modernes depuis la Chine. L’orateur souligne alors l’aspect fondamental de ce carrefour, ainsi que de ses propres ressources (hydrocarbures) pour notre prospérité.
En fait, il veut marquer que nous sommes dans une relation de voisinage continu, avec certes des rivalités et des désordres parfois, mais qui sont surtout politiques et économiques ; ils ne sont religieux que marginalement. Ainsi, la création d’Israël évoquée comme une affaire de laïcs, et non de rabbins. Et celle du mouvement Baas par un arabe chrétien… pas vraiment pratiquant d’ailleurs. Les grands mouvements sont donc laïques.
Le wahhabisme, une secte
Il en arrive alors à l’Arabie saoudite, pays aux énormes ressources et berceau d’une idéologie religieuse, le wahhabisme, qui prône l’interdiction d’interpréter les textes et fait donc table rase des écoles musulmanes traditionnelles. Cette idéologie, née au XVIIIe S., et que l’intervenant qualifie de primaire, enfermant les gens comme dans une secte, l’Arabie saoudite en a étendu l’influence par ses moyens financiers considérables, depuis qu’elle a été érigée en royaume (1932), avec l’appui des pays anglo-saxons, particulièrement les Etats-Unis qui, en février 1945, lui ont assuré leur protection en échange de la fourniture d’hydrocarbures, ce qui ferait la fortune de ce pays, “propriété privée” de la famille des Saoud. Le wahhabisme disposait ainsi d’une force de frappe énorme.
Et ce wahhabisme va perturber gravement l’aire musulmane, créant, avec son retour à la lettre de l’Islam, des tensions qui conduiront à des guerres, alors que les deux écoles, chiite et sunnite, jusque là cohabitaient sans heurts majeurs. La chiite : tenante du texte et de ceux qui doivent l’interpréter, soit la famille du prophète, et la sunnite : tenante du texte et des compagnons du prophète suivant la sunna (tradition).
Daesh, cette “pathologie”
Et l’orateur de poursuivre en soulignant le plus inquiétant : l’irruption du wahhabisme dans les esprits, par le canal de Daech. Cette “pathologie”, comme la qualifie M. Railane, phénomène sectaire, ne touche pas seulement les pays d’Islam, mais des gens dont la culture d’origine n’a rien à voir avec la religion musulmane. Bref, un embrigadement des esprits. Le phénomène est donc désormais chez nous.
Les pouvoirs ont à se positionner. Certains l’ont fait de manière expéditive, comme les Russes et Algériens. Les pays d’Europe de l’Ouest n’ont pas fait cela. Par exemple, en Angleterre, avec l’extrémisme de certains prédicateurs. Or, avec leur pluie de pétrodollars, les wahhabites saoudiens ont les moyens de “préempter”, nous dit l’auteur, la littérature et l’éducation islamiques. Cette influence passe aussi par l’introduction de l’argent de fondations saoudiennes pour construire des mosquées, la France républicaine ne finançant pas les cultes. L’exemple de Lyon est cité à ce propos.
Soutenir les laïcs
Comment nous positionner là-bas ? En ayant des régimes laïcs comme interlocuteurs. Et il cite dans la foulée l’Algérie, l’Egypte, la Syrie…, l’Irak, états réputés laïcs. Notre diplomatie, dit-il, doit soutenir des états laïcs, car, poursuit-il, si nous soutenons des régimes confessionnels, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient présents chez nous.
La solution, à son avis, doit venir de l’émergence et du renforcement d’islams nationaux, avec un denier du culte qui paiera imams et mosquées, avec une formation française d’imams nés en France. Que notre Islam soit “gaulois”, souhaite-t-il, sans ces liens avec les pays d’origine qui amènent selon lui un “hiatus”. Donc un islam de France, francophone. Certains imams, affirme-t-il, vont dans ce sens en déclarant dans les mosquées : “L’amour de son pays est un signe de foi.” L’auteur surenchérit en ajoutant que plus l’Islam est national, moins il est revendicatif.
Pour terminer, il revient sur les jeux de pouvoir et d’économie : c’est un fait dans ces pays du Proche et Moyen Orient. Cela dit, une des réponses essentielles à apporter, c’est la laïcité, laquelle n’est d’ailleurs pas absente de la théologie musulmane, dans laquelle la séparation du religieux et du politique, ça existe. Enfin, pour lui, comme dans les autres religions, les solutions sont d’abord nationales.
Pour aller plus loin
Visitez le site de Morgan Railane.