Invité par le Cercle Condorcet, Roland Cayrol a donné une conférence sur le thème : “Démocratie en danger : analyse et enjeux citoyens”, le jeudi 17 mars à Péronnas dans l’Ain.
L’évènement a fait salle comble grâce à la contribution des membres de Cercle Condorcet, aidés par les « Amis de la Vie ». Plus de 500 personnes avaient pris place et c’est son président, M. Daniel Gautheret, qui introduisit l’intervention de Roland Cayrol. Non sans mentionner le brillant parcours de l’orateur, il rappela les termes d’une problématique proposée où l’objectif d’éclairer les hommes pour en faire des citoyens, selon le mot de Condorcet, est questionné par des pratiques et des mécanismes sur lesquelles notre sociologue et politologue était sollicité ce soir-là…
Daniel Gautheret rappelle alors l’admiration de Roland Cayrol après les paroles du Premier ministre norvégien, au lendemain de l’attentat d’Utoya en juillet 2011 : « Nous devons montrer que notre société ouverte fait face à cette épreuve, que la réponse à la violence est encore plus de démocratie et plus d’humanité ». Notons cependant que la phrase citée se terminait par… « mais jamais de la naïveté ».
“L’élection au suffrage universel du président de la République cristalliserait une tendance à éliminer le discours minoritaire.”
Roland Cayrol engage donc son propos d’abord en constatant que « les Français sont fâchés avec le fonctionnement de leur démocratie ! » Et cette déception lui paraît résulter du fait que les décideurs n’obtiennent pas les résultats escomptés (en matière de chômage, premier sujet de préoccupation des français depuis 1981, en matière de niveau de vie, de justice, de sécurité…). Mais aussi parce qu’ils ont le sentiment qu’ils n’ont pas leur mot à dire en ce temps d’expression directe.
La politique déçoit !
Il observe ainsi que se développe en France une démocratie d’abstention qui, aujourd’hui, frise les 50%, comme aux Etats-Unis d’ailleurs. La politique déçoit ! Elle déçoit tout particulièrement les jeunes, les ouvriers, les (enfants et petits-enfants d’) immigrés. Il observe une véritable inversion du civisme qui se traduit dans les enquêtes d’opinion par le recul de l’importance de l’acte de voter dans la hiérarchie des valeurs citoyennes, passé de la 1ère à la 11ième place en une quinzaine d’années !
En France aussi, ce sont 10% des électeurs qui ne s’inscrivent pas sur les registres électoraux et qui finalement ne sont pas décomptés dans les résultats… Comment alors s’étonner de la montée des extrémismes ?
Une véritable « peopolisation » des hommes politiques
Il met ensuite l’accent sur la responsabilité des médias qui depuis le… 23 septembre 1952 (!) faussent le débat démocratique en permettant à l’émotion de prendre le pas sur la raison : c’est l’épisode célèbre du « discours Checkers » où, devant la télévision américaine, afin de taire ce qui est dit sur les dons indus qu’il aurait perçu, le vice-président Nixon admet n’avoir accepté qu’un seul don, le cadeau à ses enfants d’un chien du nom de « Checkers » ! Roland Cayrol observe ainsi la tendance à une personnalisation qui focalise les débats sur son auteur plus que sur les problématiques abordées et aboutit aujourd’hui à une véritable « peopolisation » des hommes politiques que le média Internet ne fait qu’amplifier.
“Il constate qu’en Europe, « on a mal à la démocratie » dans un ma-
lentendu où se mélangent attentes d’avantages et contraintes ou complexités supplémentaires…”
Puis, en matière institutionnelle, il s’interroge sur la réalité de la 5e République qui, selon lui, ne permet pas que se mette en place une culture du compromis. L’élection au suffrage universel du président de la République cristalliserait ainsi une tendance à éliminer le discours minoritaire, laquelle n’étant qu’exacerbée par le fonctionnement des scrutins majoritaires de nos élections secondes (législatives, municipales,…).
Un vivre ensemble fragilisé par des amalgames
Or, depuis de nombreuses années, cette réalité qui s’oppose aux élections à la proportionnelle est mise en question par tous les hommes politiques, sans qu’aucun d’entre eux ne passe aux réformes nécessaires… Brièvement, il nous partage encore ses inquiétudes sur un vivre ensemble fragilisé par des amalgames qui mélangent les craintes des Français, les rôles des élus, les problématiques institutionnelles face à l’attente sécuritaire de nombreux Français et dans un contexte économique et social où prévaut la méconnaissance des réalités de l’entreprise. Il en appelle à un effort d’explicitation et de formation des jeunes pour améliorer la prise de conscience de son rôle dans l’intérêt général des différents groupes sociaux.
Enfin, dans ce nécessaire effort de dialogue, il souligne le rôle de la culture pour créer du sens et du lien sur des territoires où se développe une intense vie associative, malgré une diminution marquée des organisations institutionnelles officielles telles que les Eglises ou les syndicats…
Au niveau international, il constate qu’en Europe, « on a mal à la démocratie » dans un malentendu où se mélangent attentes d’avantages et contraintes ou complexités supplémentaires…
Il termine sur la question de la prochaine présidentielle pour savoir dans quelle mesure le phénomène de cette élection va permettre, cette fois-ci, de renouveler les termes du débat démocratique qu’il appelle de ses vœux… ?
Un réel échange
La soirée s’est terminée par les questions du public, à partir des interventions de plusieurs des partenaires de cette soirée : un représentant de la CFDT (sur les problématiques des corps intermédiaires), le responsable de l’union départementale CGT (remarque sur la place des ouvriers dans les instances politiques), Michel Pervis des Amis de la Vie (sur l’impact des médias, en termes « d’éducation à » ou de déstabilisation des engagements citoyens) ou, de manière plus ouverte, des représentants d’associations : « Vigilance – Information – Santé » (à propos du « déni de démocratie » que constitue l’élaboration du grand marché transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis…), le « Mouvement rural des jeunes chrétiens » (MRJC à propos du lien des associations avec le monde politique), etc.
En définitif, cette soirée qui s’inscrit dans une continuité initiée par le cercle Condorcet (avec notamment les textes de M. Raymond Court sur les droits de l’homme et la démocratie moderne) aura permis un réel échange au cours duquel, avec la présence de plusieurs élus locaux, notamment M. Breton, député, et de M. Fontaine, président de l’Agglo de Bourg-en-Bresse, se sont partagées la passion démocratique autant que l’inquiétude des citoyens attachés à faire vivre un dialogue exigeant autant que nécessaire…
Xavier Harmel, du groupe de l’Ain 1