Manifestations d’éleveurs étranglés par l’effondrement des cours mondiaux, diffusion sur France 2 du magazine Cash Investigation sur les 65 millions de tonnes de pesticides déversés chaque année sur le territoire français : les 14èmes Rendez-vous de la mondialisation, organisés par le groupe d’Amis de Lyon secondé par celui de Belley, se sont déroulés du 5 au 7 février au cœur d’une actualité chargée.
Le public -120 inscrits- a pris conscience que seule une agriculture à taille humaine, soucieuse de l’environnement, pourra nourrir l’humanité dans la durée, avec équité. Ceci dans le respect des agriculteurs qui sont aujourd’hui du Nord au Sud les premières victimes d’un modèle à bout de souffle. Paul Malartre, président des Amis de La Vie, était chargé de la synthèse des travaux.
“En préambule, je voudrais saluer la richesse et la diversité des interventions mais aussi la tonalité d’ensemble : ce thème aurait pu nous entrainer dans des débats passionnés ou idéologiques. Nous avons entendu au contraire un langage concret de responsabilité qui a nourri notre réflexion. Nous repartons ainsi mieux armés pour comprendre les débats d’idées autour de la question de la terre et pour argumenter par des données précises nos propres positionnements et engagements.
Je vous propose une relecture de ce week-end en 5 points :
1- Les organisateurs, dont nous ne pouvons que souligner le beau travail de préparation, nous disaient qu’ils avaient dû opérer des choix pour un sujet aussi vaste.
Mais nous n’avons pas ressenti de frustration, d’abord en raison du complément évident avec les deux années précédentes sur l’eau et sur la transition énergétique et ensuite par la découverte de l’interdépendance entre la terre, l’eau, le soleil, l’énergie, les calories. Tout se croise.
Nous avons mieux compris et illustré au cours de ces deux jours la phrase du Pape François qui revient comme un leitmotiv dans son encyclique « LaudatoSi » : « Tout est lié ». Les enjeux écologiques de la terre ont aussi une dimension économique, politique et bien sûr sociale.
2- Nous retenons comme première idée-force que l’humanité a aujourd’hui les moyens de nourrir tous les habitants de la planète. Les perspectives confirment que la question n’est pas celle de la capacité de production à venir.
- La production alimentaire augmente.
- Le nombre des personnes sous-alimentées diminue ( sauf en Afrique).
- Pas de pénurie à long terme du côté du soleil , de l’azote et des bactéries.
- Le gaspillage actuel d’un tiers de la nourriture produite confirme, a contrario, qu’il existe des marges de manœuvre…
Nous pouvons ainsi affirmer que la malnutrition et la pauvreté ne sont pas une fatalité. Nous ne pouvons pas nous abriter derrière des causes « naturelles ».
3- Vu de France, nous pourrions penser que l’agriculture « naturelle » de proximité, celle qui pense qualité avant rendement, a vécu et que ses défenseurs sont des nostalgiques. Il faut au contraire dénoncer les dégâts de la course à la rentabilité par la culture intensive, dégâts pour la nature et pour l’homme.
Nous retenons comme autre idée-force des interventions et témoignages entendus ces deux jours que, à l’inverse de ce que pense une mentalité ambiante, la pauvreté reculera si nous investissons dans une agriculture qui respecte et exploite au bon sens du terme les ressources naturelles. « La rentabilité, c’est le retour au bio ».
Il faut donc continuer de sensibiliser et d’éduquer à l’évolution nécessaire des comportements individuels et collectifs. Nous avons évoqué les changements dans les habitudes alimentaires, les achats, les économies d’énergie.
Ces évolutions s’inscrivent dans une philosophie des relations entre l’homme et la nature. Ainsi avons-nous entendu que « ce n’est pas l’homme qui possède la terre, c’est la terre qui possède l’homme ». Nous retrouvons les leçons de sagesse qui ont pu être oubliées, à savoir que l’on ne peut être maître de la nature qu’en lui obéissant.
La récente COP 21 autorise des espoirs dans la mesure où tous les pays du monde étaient au moins d’accord pour dire qu’il y avait quelque chose à faire pour retrouver cette sagesse du respect de la nature.
4- La troisième idée-force que nous retenons de ce week-end est que les inégalités et les injustices trouvent leurs causes dans une mauvaise répartition des ressources, des revenus et des productions.
Des exemples nous ont frappés : deux sacs de riz sont vendus au même prix sur un marché de Madagascar, alors que l’un deux représente 200 fois plus de temps de travail en raison d’une récolte à la main. Au Brésil et ailleurs, des personnes se retrouvent employées, et mal payées, pour travailler sur une terre qui leur appartenait mais qu’ils ont dû céder à de riches propriétaires.
Cette mauvaise répartition n’est pas seulement un problème Nord-Sud, mais concerne tous les continents en eux-mêmes.
Cette mauvaise répartition doit nous rendre prudents quand nous en appelons à une sobriété heureuse : pour beaucoup de gens dans le monde la sobriété n’est pas un choix…
5- Pouvons-nous lutter contre cette mauvaise répartition ?
Un participant évoquait David contre Goliath. Il faut nous rappeler alors que c’est David qui a gagné…
Nous avons entendu des propos encourageants et stimulants : « Si on se remue, on peut faire l’Histoire » ; « Non, je ne désespère pas » ; « Partir du péché pour bâtir un monde nouveau ».
J’ai pensé alors à l’association des Amis de La Vie. Par ses choix de thèmes de soirées-débats, d’Universités d’été, par son souci de mise en œuvre de la pensée sociale de l’Eglise, notre association a déjà montré qu’elle se retrouvait parfaitement dans ce questionnement : comment peut-on reprendre à son compte cette volonté d’inverser le cours de l’Histoire en réagissant, nous l’avons vu, contre une fausse fatalité ? Comment réagir par rapport à ce qui peut apparaître comme un rêve ?
Il est vrai que vouloir passer d’une terre qui divise, d’une terre source de conflits et d’injustices, à une terre qui nourrit, à une terre considérée comme notre bien commun pourrait relever du rêve.
Nous devons certes rester lucides en évitant à la fois le catastrophisme et la naïveté. Ces deux jours nous encouragent dans l’attitude réaliste d’un optimisme raisonné.
Il nous semble que l’encyclique « Laudato Si », largement commentée et approfondie dans les groupes locaux des Amis de La Vie, nous invite avec force, à partir d’une analyse sans complaisance de la situation, à passer du rêve possible à l’Espérance.
Je nous souhaite, dans ce souffle, et après tout ce que nous venons de partager, d’être des artisans de semences, sans nous demander d’abord si ces semences sont autorisées, mais si ce sont des semences nouvelles et prometteuses pour la croissance… la croissance en humanité.”
Paul Malartre