Quand il a reçu un courriel l’invitant à répondre à une « urgence dépannage agricole » en Algérie, Ignace Pittet, Ami de La Vie de Chambéry, n’a pas hésité longtemps. Surtout lorsqu’il a découvert la mission : remplacer pendant quarante jours Jean-Marie Lassausse, le prêtre-agronome « jardinier de Tibhirine », responsable des arbres du monastère depuis 2001. Le 6 juillet dernier, il boucle sa valise pour le sud algérien, pour travailler là où vivaient les sept moines enlevés en mars 1996, puis assassinés.
À 71 ans, Ignace est arboriculteur, écrivain, philosophe, Amis de La Vie... et militant depuis toujours. Il naît en Suisse. Après sa maturité fédérale (le bac suisse) il décide de partir quelques mois en Algérie avec des amis pour faire de l’alphabétisation. Au retour, il choisit d’entrer au séminaire, où il se plonge dans la philosophie et la théologie. Mai 1968 agite les universités genevoises, le mouvement le remet en cause. Il ne poursuit pas vers le sacerdoce. Le jeune homme part en France, dans un hameau reculé des Cévennes, où il vit neuf mois en ermite. Suit une série de petits boulots, de voyages aussi. Son père est arboriculteur, il l’a aidé souvent. Le traitement, la taille des fruitiers n’ont pas de secrets pour lui. Il travaille en Afrique, sillonne les Etats-Unis en stop et se fait embaucher dans les vergers. C’est au cours de ce voyage qu’il rencontre Chantal, sa femme…
De nouveau en France, le couple s’engage au sein d’une association, dans les Cévennes. Celle-ci accueille des jeunes en difficulté, dans une ferme. Au programme : restauration de la ferme, récolte des châtaignes, vendues sur les marchés. Cinq années plus tard, avec la naissance des enfants, Chantal et Ignace décident de s’installer dans une région moins sauvage. Ce sera Pontcharra, dans l’Isère. Retour à l’arboriculture ! Le couple reprend une ferme avec des vergers de pommes, poires, figues, noix, kiwis. Il les vend sur les marchés.
La vie d’agriculteur connaît (déjà) des moments difficiles. Au cours des années 1990, les prix s’effondrent. « La politique agricole commune (PAC 92) a imposé aux producteurs de fruits de s’aligner sur les prix mondiaux, explique Ignace. Les prix ont cessé d’être rémunérateurs. A cela s’ajoutent des périodes récurrentes de surproduction ». En 2004, un livre « Paysan dans la tourmente » résume sa pensée. Le paysan producteur y milite pour une nouvelle économie de marché, une économie solidaire qui privilégirait les petites structures et des commerces de proximité. Il vient encore de publier « Une nouvelle société solidaire. Par un nouveau contrat social » (Aux Editions l’Harmattan, 2014). Voir la vidéo ci-dessous.
La retraite ne met pas fin à son activisme ! Depuis plusieurs années, il part régulièrement en Afrique, au Burkina-Faso et au Bénin, pour aider des monastères à s’occuper de leurs vergers. Rien d’étonnant donc à qu’on ait pensé à lui pour partir à Tibhirine. Le verger des moines trappistes (aujourd’hui tous partis) est une oasis au milieu du désert. Sur 8 hectares poussent 1500 arbres – cerisiers, abricotiers, pommiers, figuiers…- « Avec deux ouvriers agricoles, je m’occupais aussi des légumes, raconte Ignace, des plantes aromatiques et médicinales, j’assurais les récoltes des fruits d’été.”
Je me levais à 5h30 pour boire à la source abondante et régulière du domaine et participer à l’office des laudes à 6h, avant de prendre le petit déjeuner et d’aller au travail jusqu’à midi. Je ne pouvais me permettre, à 71 ans, d’affronter la chaleur caniculaire de l’après-midi. Cela me valut la chance extraordinaire, en logeant dans la chambre occupée par le prieur du monastère, Christian de Chergé les dernières années de sa vie, de m’imprégner de sa théologie de l’espérance.
“On ressent toujours la présence active et vivante des sept moines martyrs.”
Même en leur absence au monastère de Tibhirine, on y ressent toujours la présence active et vivante des sept moines martyrs. Ils ne sont pas morts en vain. Ils ont donné leur vie pour cette terre d’Algérie si généreuse et si belle. » Le monastère continue à vivre. Chaque année, plus d’un millier de personnes (80 % d’Algériens) visitent ce lieu très symbolique, s’inclinent devant les tombes des moines, viennent y faire une retraite. Un représentant de la Délégation catholique pour la coopération (DCC), un laïc belge, est responsable de l’accueil, des offices, de la cuisine.
Pendant ses quarante jours au milieu du désert, Ignace, militant écologiste, a aussi rédigé un « Appel à une mobilisation générale contre le réchauffement climatique » qu’il souhaiterait proposer à la Cop 21, la grande conférence internationale sur le climat qui se réunira en décembre à Paris. Il y propose le choix de l’agroécologie pour produire les aliments, la priorité des énergies renouvelables, mais aussi des mesures très concrètes à décréter à tous les niveaux, nation, région, ville, village, famille : le refus des emballages plastiques, la plantation systématique d’arbres…
Encore un nouveau combat pour cet actif insatiable, optimiste pour l’avenir. « Je décèle partout des signes de changement, de nombreuses expérimentations naissent, qui ouvrent à une société solidaire. Nous vivons un tournant décisif. » Un rayon de soleil pour cet adepte du solidarisme, cette vieille doctrine de Léon Bourgeois qui prônait,vers 1900, l’instauration d’un salaire minimum, d’un système d’assurance sociale de retraites pour les travailleurs. A l’époque, on traitait les solidaristes de dangereux utopistes.
Gérard Desmedt
Pour joindre Ignace Pittet : ignace.pittet@laposte.net – Tél. : 04 56 29 43 40
Pour lire le récit de son séjour à Tibhirine écrit par Ignace Pittet : cliquez ici.
Pour lire son appel à une mobilisation générale pour le climat : cliquez ici.
À lire :
- Le jardinier de Tibhirine, Jean-Marie Lassausse, Ed. Points, 6,70 euros
- Paysans dans la tourmentes, pour une économie solidaire, Ignace Pittet, L’Harmattan, 2004
- Une nouvelle société solidaire. Par un nouveau contrat social, Ignace Pittet, Editions l’Harmattan, 2014