Éric Dupin, journaliste et essayiste (Le Monde diplomatique, Slate.fr), a publié “Les Défricheurs” (Seuil, 2014), un ouvrage où il enquête sur des communautés au mode de vie alternatif. Jeunes journalistes à l’université d’été des lecteurs de La Vie, nous l’avons interrogé sur l’avenir de ces mouvements.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ceux que vous appelez les défricheurs ?
Au départ, j’avais pour projet de partir à la rencontre de Français afin de découvrir les richesses et singularités de chacun. Cela a donné naissance à “Voyages en France” (Seuil en 2011). Au fil de ces expériences, j’ai fait la connaissance de personnes en rupture avec les valeurs partagées par la société, notamment le consumérisme et le productivisme. Très vite, une nouvelle idée est née et j’ai voulu repartir sur les routes dans le but de recueillir leurs témoignages.
Parmi les modèles que vous avez découverts, lequel vous semble le plus viable ?
Il n’y a pas de modèle type et c’est ce qui fait le charme de ces mouvements. C’est la preuve qu’il n’y a pas qu’un seul chemin pour s’évader d’une société bloquée. Il y a des voies très radicales qui réclament de réels sacrifices matériels ou d’autres plus douces. Chacune correspond à des publics pluriels, orientés dans des prises de conscience différentes.
Quelles politiques publiques faudrait-il mettre en place afin de soutenir les actions des défricheurs ?
Il y a une complémentarité entre les initiatives locales des défricheurs et les politiques publiques. Ces derniers décident d’agir sans même recevoir de subventions mais ont besoin de l’appui des collectivités locales lorsque leurs réalisations prennent de l’ampleur. Ces aides sont de plus en plus répandues. D’autre part, les innovations des défricheurs nécessitent dès le départ un cadre légal. C’est le cas des yourtes qui posent un problème de classification n’étant ni des tentes ni des habitats en dur.
Vous soutenez le progrès. Est-il compatible avec la société de « non consommation » ?
Il ne faut pas vénérer le progrès. Selon son utilisation, il peut apporter du positif ou du négatif. Par exemple, l’avion nous permet aujourd’hui de nous déplacer à moindre coût, le kérosène n’étant pas taxé. Or, le coût environnemental reste occulté. Il faut qualifier le progrès en fonction de son utilité sociale réelle et des contraintes écologiques.
Zoom sur trois communautés de défricheurs
Dans son livre “Les Défricheurs”, Éric Dupin s’intéresse à plusieurs groupes, des radicaux aux plus intégrés dans la société.
Les radicaux
Les membres de la communauté de la Nef des Fous, située dans les Alpes, sont inspirés par celui qui se fait appeler Diogène. Ils refusent la monnaie et préfèrent le troc. Au départ, ils désiraient que les enfants ne connaissent pas leurs parents… ce qui a échoué car un enfant reconnaît toujours sa mère.
Les éco-villages
Baptisés « îlots verts » par Eric Dupin, ils ont pour credo une écologie sociale attachée au respect de la nature et à la qualité des relations humaines. L’éco-village d’Eourres, dans les Alpes, attire beaucoup de monde. Les activités y sont variées, allant de l’agriculture maraîchère à l’artisanat. La communauté, dirigée par des femmes, est fondée sur un système d’entre-aide. En 2012, 42% des habitants ont voté Eva Joly (EELV) !
Une école alternative
En Dordogne, à Saint-Pantaly-d’Ans (24), la Marelle et Cie est une école alternative créée par une sophrologue. Son but est d’intégrer des enfants délaissés par le système éducatif comme les dyslexiques. La vingtaine d’élèves qui y sont scolarisés vient d’horizons différents, des enfants d’écologistes anglais installés dans la région ou de paysans. Ils pratiquent des activités en lien avec la nature comme la réalisation d’un potager partagé.
Fanny Hugues et Raphaëlle Muzac