Le groupe des Amis de La Manche a organisé une conférence-débat sur la laïcité, le 29 avril dernier à Granville. Un évènement placé sous le signe de la fraternité.
« Quand je serai Président de la République, j’inverserai la devise républicaine : Fraternité, Egalité, Liberté, car tout commence par la fraternité, ainsi nous pouvons être égaux et libres ! », a affirmé la responsable de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Françoise Verdier, dans son introduction lors de la conférence débat « la Laïcité, un art de vivre la citoyenneté ? », organisée le 29 avril dernier par les Amis de La Vie de la Manche, à Granville, en partenariat avec la section de la LDH…
Nicolas CADENE, Rapporteur Général de l’Observatoire de la Laïcité auprès du Premier Ministre, a ouvert son intervention en nous montrant que la laïcité est le produit de notre histoire, depuis la Révolution Française jusqu’à la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat, en passant par les lois Falloux sur l’enseignement catholique (1850) et Ferry sur l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous (1881-1882).
Cette loi de 1905 garantit la liberté de religion et d’opinion : elle est fondamentale. Elle a mis fin aux régimes politiques qui pesaient sur les consciences, en annonçant que l’Etat respecterait la liberté de chacun de choisir sa religion, d’en changer, ou de ne pas en avoir…
“L’Observatoire de la Laïcité privilégie avant tout le dialogue avant l’interdiction…L’essentiel est de détecter les dérives du comportement, telles que le prosélytisme ou la violence…”
Les lois plus récentes tiennent compte de la situation nouvelle concernant l’Islam en France qui n’avait pas d’adeptes en métropole en 1905. La loi de 2004 sur le port de signes religieux ostensibles distingue différents espaces (privé, administratif, social, et « partagé » comme la rue) : seuls les employés du Service public sont soumis à la loi (et non les usagers) ainsi que tout le personnel des écoles et les élèves (mais non les étudiants des universités).
N. Cadène a tout de suite mis le doigt sur le défi à relever par la Laïcité : elle doit être un outil pour « vivre ensemble » ! Ce qui est visé, c’est l’intérêt général, la construction de notre citoyenneté commune. Jean Jaurès l’affirmait déjà en 1904 : « La République doit être laïque et sociale. Elle restera laïque si elle sait rester sociale ». En prenant le cas concret des demandes de certaines communautés musulmanes de servir dans les cantines des écoles des menus sans viande de porc, N. Cadène propose d’y répondre en donnant le choix entre « des menus avec ou sans viande », sans pour autant stigmatiser les observances rituelles d’une religion ou d’une autre ou des régimes alimentaires, mais en préservant les repas pris en commun…L’Observatoire de la Laïcité privilégie avant tout le dialogue avant l’interdiction…L’essentiel est de détecter les dérives du comportement, telles que le prosélytisme ou la violence…
Mettre en œuvre une pédagogie
Il est nécessaire de mettre en œuvre une pédagogie et un accompagnement concret pour s’adapter à l’évolution de la société… L’Observatoire de la Laïcité a édité des « guides » pour permettre de déterminer l’application des lois concernant la laïcité et la gestion du fait religieux dans les collectivités locales, les structures socio-éducatives, et l’entreprise privée, ainsi qu’une « Note d’orientation ». Ces documents très clairs, ponctués d’exemples concrets, ont été mis à disposition lors de la soirée : en nombre insuffisant pour le public présent (nous étions environ 180 participants), ils sont accessibles sur internet sur le site de l’Observatoire de la Laïcité.
Juste après les dramatiques événements de début janvier, l’Observatoire de la Laïcité a adressé « Onze préconisations » au Président de la République, et, parmi celles-ci : le développement du service civique, le recrutement d’aumôniers musulmans dans les prisons, le développement de l’enseignement laïque du fait religieux dans les établissements scolaires… toutes mesures qui permettront d’apaiser les conflits qui prennent racine dans la méconnaissance de l’autre.
Coexister
C’est dans le même esprit qu’a été fondée l’association « COEXISTER », en 2009, association laïque qui fait la promotion du dialogue interreligieux, également invitée à ce débat, et représentée par Thomas Paulmiet, président du groupe de Caen, et de Henri Pflieger, membre de ce même groupe. Coexister, forte de ses 23 groupes en France et qui commence à s’implanter à l’étranger, annonce ce qu’elle est : une association qui vit des expériences de coexistence interreligieuse au service de buts communs.
En effet, qu’est-ce que « coexister » ? « C’est comprendre ce qui peut offenser l’autre » : c’est donc différent de « tolérer » l’autre, le laisser à côté de soi, c’est respecter sa différence, le regarder avec bienveillance…Ces jeunes nous expliquent le cercle vertueux entre l’identité de chacun et l’altérité : plus je sais qui je suis, et plus je peux accepter l’autre tel qu’il est et m’accepter tel que je suis…Du point de vue religieux, il n’y a pas de syncrétisme, chacun est confirmé dans sa confession.
“Coexister, forte de ses 23 groupes en France, commence à s’implanter à l’étranger”
Une illustration de cette conviction : pendant «l’ Interfaith Tour », le tour du monde des expériences interreligieuses vécu par Samuel Grzybowski, le fondateur de Coexister, avec 4 autres jeunes de religions (chrétienne, juive, musulmane) et de convictions différentes (agnostique et athée), le souci de chacun était de trouver une église, une mosquée, une synagogue, dans les régions traversées, pour que chacun puisse se ressourcer selon son culte. Cette expérience extraordinaire qui a duré 10 mois est racontée de façon passionnante par Samuel Grzybowski dans son récit « Tous les chemins mènent à l’autre » (Editions de l’Atelier) dans lequel il témoigne de façon très personnelle de cette aventure vécue en 2013 et qui sera suivi d’un autre tour du monde cette année avec une nouvelle équipe !
Pour l’Association Coexister, qu’est ce que la laïcité ? Elle s’appuie sur trois réalités : la séparation de l’Etat et des Eglises, la neutralité de l’Etat qui met à la disposition les lieux de cultes, et la liberté de croire ou de ne pas croire…Mais il faut être vigilant, car le danger serait de passer de la neutralité de l’Etat à la neutralisation de l’individu…
Le « Triptyque de la fraternité » repose sur trois piliers : le dialogue, la solidarité et la sensibilisation par le partage dans les établissements scolaires ou d’autres lieux où ils sont appelés. L’interreligieux est en effet un outil pour vivre ensemble : quand un groupe de Coexister est appelé pour faire une intervention dans un collège ou un lycée, il lui faut d’abord « déconstruire » les préjugés que chacun a en tête par rapport à la religion ou la conviction de l’autre, et ainsi, lui donner envie de rencontrer l’autre…
A l’Observatoire de la Laïcité, N. Cadène œuvre dans le même esprit. Il conclut ainsi : « La laïcité permet la construction de notre citoyenneté commune, quels que soient nos choix convictionnels. Elle nous permet d’aller au-delà de nos différences, de les dépasser tout en les respectant. Notre laïcité garantit la liberté de croire ou de ne pas croire et la possibilité de l’exprimer dans les limites de la liberté d’autrui. Une incroyable avancée lorsque l’on pense aux nombreux États dans le monde où l’on ne peut pas avoir certaines croyances, changer de religion, ne pas croire ou être agnostique ».
Oui, « laïcité » peut rimer avec « fraternité », à condition de vouloir écouter la différence de l’autre, non comme une menace, mais comme une richesse !
Chantal Vinson, des Amis de La Manche.