Jean-Michel Besnier « Aujourd’hui nous n’existons plus que par le regard des machines »

Besnier BDAprès l’ère post-industrielle, bienvenue dans le monde post-humain à portée de clic ! Lors de la conférence du lundi 7 juillet à l’université d’été des amis de La Vie, Jean-Michel Besnier, agrégé de philosophie et docteur en science politique, nous a conduit dans les eaux troubles du transhumanisme. Ce courant philosophique soutient que nous pouvons nous « libérer » de notre enveloppe corporelle grâce aux avancées technologiques afin d’accéder à une sorte d’immortalité numérique. Pour Jean-Michel Besnier cette pensée met notre humanité en danger. Rencontre.

Le transhumanisme reflète-t-il l’essoufflement de notre société contemporaine ?

Jean-Michel Besnier : C’est ambigu car les transhumanistes sont porteurs d’espoirs et d’idéaux mais ils sont aussi la marque d’une rupture avec l’humanité telle que nous la connaissons. Qui dit transhumanisme dit transition de l’humanité vers autre chose. Il y a bien à la base du transhumanisme une idée que l’humanité a fait son temps. Nous pouvons dire qu’hommes et femmes ont produit le pire sur la planète (génocides, armes nucléaires, biologiques). Notre société actuelle est traversée par un sentiment d’essoufflement et d’espoir, même inconscient, allant vers un regain de l’humanité.

En voulant se libérer du corps ne devient-on pas prisonnier de la machine ?

J-M Besnier : Ce qui peut paraître déconcertant et surprenant c’est que l’idéal soit confié à la machine. C’est un vieux thème de la science-fiction : de la fusion avec les machines résulte le salut. Cette idée a été régulièrement réactivée dans l’histoire de la culture occidentale. L’ambiance du transhumanisme peut être associé au futurisme italien des années 1920. Marinetti, chef de fil du courant, pensait que la sidérurgie nous donnerait les moyens de produire un homme d’acier, solide, inoxydable, invulnérable. Un homme qui pourrait s’affranchir de la nature.

Avançons-nous vers un « meilleur des mondes » à la Aldous Huxley ?

J-M Besnier : C’est sûr que Huxley comme Orwell sont des références qui reviennent fréquemment avec une vision prémonitoire. Issu d’une famille de biologistes impliquée sur ces questions, Huxley a vu juste car il a anticipé les neurosciences : dans son livre, il invente une substance  nommée soma permettant de rêver. Il a aussi anticipé l’ectogénèse, c’est-à-dire l’utérus artificiel. Dans son roman, il peint un monde répulsif, dystopique. Ce qui m’apparaît étonnant, c’est de voir que des féministes américaines militent pour l’utérus artificiel car qu’elles y voient le moyen de s’affranchir de la guerre des genres.

Notre bonheur serait-il réel si notre conscience était téléchargée ?

J-M Besnier : La représentation que nous avons du bonheur est une espèce d’insensibilité. Selon Engel, le bonheur est une page blanche. Il n’y a pas d’événement, nous sommes dans un état de béatitude, un peu animal au fond, c’est « l’ici maintenant ». Le bonheur c’est l’indifférence à l’avenir allié à l’absence de nostalgie du passé. C’est cela que nous poursuivons, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Lors de la conférence, je disais que les technologies, les neurosciences allaient supprimer la souffrance mais aussi le plaisir. On sera dans une attitude d’insensibilité et la conscience suppose toujours qu’on soit séparé de ce qui n’est pas nous. Le bonheur c’est la coïncidence avec le présent et les autres.

Quel serait le statut de la machine humanoïde et de l’homme androïde ?

J-M Besnier : C’est difficile à déterminer car l’homme androïde est encore une machine, produit d’une fabrication. Dans tous les cas de figures, le robot androïde aura une forme humaine et il sera doté de compétences qui simulent celles des Hommes. Il y a des informaticiens qui travaillent à réaliser une conscience artificielle.Il faut bien voir que ce que les roboticiens entendent par conscience artificielle. Pour eux, c’ est le fait qu’une machine soit capable de réagir à des stimuli réadaptant en quelque sorte les mécanismes et fonctions internes.

Minimalement, la conscience c’est être capable de distinguer un extérieur d’un intérieur. Donc n’importe quel être vivant même tout à fait basique peut être doté d’une conscience. Nous essayons de reproduire ce schéma avec les robots, pour qu’ils soient capables de réagir à des stimuli artificiels en réadaptant leur comportement. Mais le vrai problème que cela pose, c’est que l’on réduit la notion de conscience à très peu, à presque rien.

Propos recueillis par Camille Denis Lacroix