Bernard Pinaud : « Le FSM est une formidable source de dynamisme pour les acteurs du changement »

bernard pinaudLe CCFD-Terre solidaire, la première ONG française de développement , est engagé dans le processus du Forum social mondial depuis le premier au Brésil en 2001. Rencontre avec Bernard Pinaud, son délégué général, membre du Conseil international du FSM.

 

 

 

Pourquoi le CCFD-Terre Solidaire est-il présent au FSM ?

Sur les huit organisations brésiliennes qui ont organisé le premier FSM à Porto Alegre en 2001, six étaient partenaires du CCFD. Nous n’avions aucune idée à l’époque de ce qui était en train de naître. Au fur et à mesure des années, nous avons vu le nombre de participants augmenter.

Nous étions 20 000 au premier, 70 pays. Quatre ans plus tard, nous étions 180 000 représentant 154 pays. Ce forum se voulait le contrepoint du forum économique de Davos. En 2001, les Brésiliens affirmaient que le pouvoir était aux mains des grandes multinationales et de la finance. Aujourd’hui c’est une évidence pour tout le monde.

15 ans après Porto Allegre, quel est le bilan ?

Jusqu’au début des années 2000, chaque organisation portait ses propres combats et se trouvaient dans des couloirs de luttes. Les Forums ont permis à ces différents acteurs de se rassembler pour des campagnes communes. Les ONG de développement ont ainsi tissé des liens avec des acteurs d’une autre nature : les syndicats, les ONG de défense des droits humains, les défenseurs de l’environnement, les mouvements paysans, de femmes, puis par la suite le monde de l’économie sociale et solidaire et aujourd’hui les médias libres.

De fait, au CCFD, le travail avec les syndicats en France et dans les pays partenaires est devenu une évidence. C’est ainsi que la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est devenue une problématique également portée par des ONG de développement. Quant aux syndicats des pays du sud , ils sont maintenant conscients du poids de la dette dans l’économie des pays du sud. Aujourd’hui ces dynamiques deviennent communes.

L’autre réussite du FSM, c’est d’avoir mis sur la place publique et permis de partager des thématiques comme la souveraineté alimentaire, l’annulation de la dette des pays pauvres, la taxe sur les transactions financières. Enfin, le forum a permis la création de réseaux à l’échelle mondiale. Via Campesina, le mouvement qui représente 20 millions de petits paysans à travers le monde, a fini de se structurer à l’intérieur des FSM. Tax Justice Network, réseau de lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, également. La liste serait longue.

Pourquoi continuer dans le forum puisque ces revendications sont aujourd’hui largement partagées et médiatisées ?

Pour ceux qui viennent pour la première fois, c’est une leçon formidable de dynamisme. Les deux tiers des participants viennent pour la premières fois. 70% des participants viennent du pays d’accueil et découvrent cette société civile à l’échelon planétaire. C’est un grand souffle d’espérance pour des personnes qui luttent localement de constater que leur vision est partagée dans tous les pays du monde. Actuellement, il n’existe aucun autre espace de mise en réseau des acteurs de la société civile pour imaginer ensemble des alternatives au modèle néo-libéral dominant.

“C’est un grand souffle d’espérance pour des personnes qui luttent sur le terrain localement de constater que leur vision est partagée dans tous les pays du monde.”

Quelles sont les nouvelles formes de luttes qui émergent ?

Elles sont beaucoup plus informelles : ce sont les Indignés, les gens d’Occupy Wall Street, des réseaux plus horizontaux que les ONG traditionnelles. Il est plus difficile de travailler avec eux car ils n’ont pas de représentants. Ces nouveaux mouvements n’ont pas encore créé de liens entre eux au niveau mondial. Quelques uns sont présents à Tunis. Des membres du conseil international du FSM sont allés à leur rencontre au Canada, aux Etats-Unis, en Espagne, en Grèce. Il y a par exemple quelques jeunes Sénégalais du mouvement « Y en a marre », des rappeurs qui ont réussi à mettre dehors le président Wade, qui voulait changer la constitution pour se faire réélire.

Pourquoi la Tunisie ? Et pourquoi deux fois la Tunisie ?

Le choix de la Tunisie s’est fait au FSM de Dakar en 2011. On était en pleine révolution de Jasmin et celle-ci commençait à faire tâche d’huile. La chute de Moubarak a été annoncée pendant le Forum dans un amphi bondé de 2500 personnes. Il était évident qu’il fallait faire le suivant au Maghreb.

Il s’agissait de soutenir un pays dont la société civile était déjà structurée, malgré la dictature, avec le syndicat centenaire UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) et la Ligue Tunisienne des Droits de l’homme notamment. Le Forum tunisien de 2013 a été l’un des meilleurs en termes d’organisation et de qualité de débats, de présence des Tunisiens et des jeunes.

Nous devions ensuite aller en Egypte en 2015. C’était impossible pour d’évidentes questions de sécurité et parce qu’on n’organise pas un FSM dans un pays en train de basculer dans une dictature. Le Conseil international a choisi de revenir en Tunisie pour renforcer les processus de structuration des mouvements de la société civile et de transition démocratique.

Avec l’attentat du Bardo, le FSM prend une dimension de solidarité encore plus importante. Les terroristes ont voulu casser la mise en place progressive des institutions. Ils frappent au moment où une constitution est en place, une assemblée élue et un gouvernement opérationnel, mais où il faut maintenant s’attaquer aux énormes défis économiques et sociaux.

Recueilli par Dominique Fonlupt