Lors de l’avant-dernier jour de l’université d’été, j’ai dîné aux cotés d’Alexis Jenni, lauréat du prix Goncourt 2011 pour L’art français de la guerre. Il écrit aussi des chroniques savoureuses dans La Vie. Au menu de cette rencontre marquée par le paradoxe et l’humour : un questionnement sur l’apport des nouvelles technologies à la littérature.
Avec Alexis Jenni, l’opposition entre la rationalité des sciences et l’imaginaire de la littérature n’a plus lieu d’être. Cet homme de lettres, agrégé en biologie, a longtemps été professeur de sciences. Franc, il n’a pas les yeux plus gros que le ventre. « Heureusement que j’ai connu le succès à cet âge. Si je l’avais connu jeune, je me serai cru génial. ». Le repas de ce jeudi soir fait suite à une conférence, une mise en bouche intitulée « la littérature vue comme une machine à comprendre le monde ». Entre quatre yeux et au moins autant de couverts dressés, impossible de résister à prolonger encore un peu les discussions.
Comprendre le monde, un des leitmotiv du rapport à l’écriture d’Alexis Jenni. Cela entre en résonance avec la conférence, durant laquelle il a expliqué qu’il n’écrit pas sur ce qu’il connaît déjà. Il préfère au contraire apprendre en même temps que son héros. Interrogé sur l’archétype de celui-ci, cet écrivain compulsif évoque un personnage un peu naïf et ignorant, mais doté d’un don pour raconter, un peu à la manière de Tintin. « Dans un livre, on est deux. Et à deux on comprend mieux » . « Seriez vous habité par un double ? » s’inquiète une lectrice. « C’est le minimum, non ? » plaisante-t-il.
En guise de plat de résistance, l’auteur nous livre une critique à l’égard des nouvelles technologies et de leurs acteurs qui bouleversent le monde littéraire. La machinerie littéraire doit résister au cycle du progrès si elle veut conserver ce qui fait son essence : son archaïsme. « Le livre électronique est un modèle économique détestable. Cela reste un outil pauvre même s’il est pratique dans les transports ». Quid du livre augmenté, dont l’on pourrait par exemple changer la fin ? « Quand on se confronte à un livre, il faut accepter la tyrannie d’un auteur. Certes les péripéties ou la fin peuvent nous faire violence, mais c’est ce qui est beau dans la littérature ».
L’écrivain défend également le réseau libraire. « Les libraires sont des types un peu dingues qui portent toute leur vie des cartons et font des petites marges. Ce sont des pépiniéristes, je leur dois mon succès ». Avec leur main verte littéraire, ils savent repérer et embellir les plus beaux plants en les mettant en valeur et ainsi les faire grandir vers le succès.
Alexis Jenni est donc un brin provocateur. Mais il vit aussi avec son temps. Nous avons par exemple évoqué certaines séries télévisées avec délectation comme The Wire (Sur écoute), Breaking Bad ou même Game of Thrones ! Pour en savoir plus, il vient de publier une nouvelle, C’est quoi loin ? Publiée dans l’ouvrage Le monde au XXIIème siècle, elle ravira ceux rebutés par l’épaisseur de L’art français de la guerre. Pour finir, rappelons le supplément d’âme procuré par l’amour de la littérature. « Elle nous plonge dans un sentiment d’être là. Nous offre intuitivement quelque chose de l’ailleurs. On accède ainsi à une vérité intense par les sentiments, inaccessible aux sciences humaines. »
Margaux Hirel