Rédactrice en chef-adjointe à La Vie, Claire Legros est chargée du numérique. Invitée de l’université d’été, elle a donné une conférence le mardi 8 juillet sur les mutations digitales, à la fois anthropologiques et cognitives : “Le virtuel numérique fait-il de nos enfants des mutants ?”.
Depuis le début des années 2000, l’essor du numérique révolutionne nos modes de vie. Nous vivons dans l’immédiateté : le « tout, tout de suite » est devenu un leitmotiv chez les personnes connectées. Pour Claire Legros, ces évolutions changent notre façon d’appréhender le monde et d’organiser notre mémoire et notre pensée, et nécessitent de nouvelles précautions éducatives, pédagogiques, et citoyennes. Rencontre.
Quels conseils donneriez-vous aux parents pour mieux gérer le rapport de leurs enfants au numérique ?
Chaque parent a un rôle d’éducateur à jouer. Or, beaucoup se sentent dépassés par le numérique. Pour ne pas être débordé, il faut se former. Cela permet de comprendre et d’échanger.L’univers numérique est un univers de contrastes et d’ambivalences. On y trouve le meilleur, la possibilité de nouvelles formes de solidarité et de collaboration formidables, et le pire, la manipulation de la pensée et la surveillance de masse. Or il y a une sorte de rupture éducative : nos enfants n’ont pas été préparés à ces nouvelles technologies. C’est comme si nous leur avions donné une Formule 1 sans permis !
Il faut savoir instaurer des règles pour contrôler l’exposition de nos enfants. Comprendre ce qui se joue derrière l’écran, les traces qu’on laisse derrière soi. Apprendre à déconnecter régulièrement pour se vider l’esprit et ne pas se sentir esclave. La meilleure solution est d’apprendre aux jeunes l’autorégulation pour qu’ils sachent quand s’arrêter.
Le savoir étant désormais accessible à tous, est-ce bientôt la fin des médiateurs ?
Effectivement, le savoir est accessible partout et par tous. Nous avons à notre disposition une information massive. Les enseignements en ligne, comme les Moocs (cours en ligne), n’ont jamais été aussi nombreux. De grandes écoles comme Harvard ou le MIT ont leurs propres leçons sur le net. Cela change le rapport aux savoirs et aux apprentissages.
D’un point de vue collectif, cela permet un échange des savoirs entre les internautes. Les sites participatifs se multiplient et permettent aux gens de partager leurs connaissances et leurs expériences sur un sujet précis. Cela consiste à faire appel à l’intelligence de la foule. On parle de « crowdsourcing ». Mais il y a une ambivalence. L’apprentissage se fait par une lecture profonde et non par des sauts de puce. L’accès à l’information ne veut pas dire accès à la connaissance… Pour être créatif, on ne peut pas faire l’impasse sur l’apprentissage car l’esprit humain ne fonctionne pas comme un ordinateur. Il n’y a pas de raccourci clavier. Il faut un processus très long, beaucoup apprendre, avoir beaucoup de représentations dans sa mémoire pour que des idées nouvelles germent.
Plus nous avançons, moins la vie privée est respectée. L’opinion publique ne semble pas s’en alarmer. N’est-ce pas un recul démocratique ?
La vie privée est garante de la démocratie et de la citoyenneté. Il est essentiel de la conserver. Cela passe par une prise de conscience individuelle et collective. Nos données personnelles sont utilisées à des fins commerciales par quelques grandes multinationales et sécuritaires par certains États. Sans qu’un vrai débat démocratique ait eu lieu. Surveiller massivement toute une population est-il vraiment efficace contre le terrorisme ? Le débat mérite d’être posé. Il faut chercher ensemble comment développer des services numériques mais pas à n’importe quel prix !
Propos recueillis par Arthur Duquesne
Pour aller plus loin, écoutez la conférence de Claire Legros en entier !