Les lois du marché régissent la science. Comment faire pour qu’elle soit véritablement au service du bien commun ? C’était le sujet de la conférence menée jeudi à l’université d’été par la sociologue Bérangère Strorup.
La spécialiste en développement agricole et rural fait partie de la Fondation Sciences Citoyennes, une association promouvant la recherche participative, c’est-à-dire la collaboration des citoyens au travail des chercheurs. Rencontre
Quels exemples montrent que la science n’est pas forcément au service du bien commun ?
Les dérives de la science sont bien réelles. La plupart des chercheurs sont rigoureux et jaloux de leur indépendance. Mais il ne faut pas se voiler la face. Ils sont fortement poussés au productivisme par les directions des instituts de recherche et par des responsables politiques.
Concernant les nouvelles technologies (nanotechnologies, biologie de synthèse, OGM, etc.), nombre de scandales éclatent à l’étranger mais reçoivent peu ou pas d’écho en France, alors qu’ils impliquent parfois des multinationales commercialisant leurs produits dans notre pays.
Certaines agences sanitaires sont également passives par manque de moyens d’évaluation, incapables de détecter une éventuelle toxicité. Il apparaît important de retirer ces produits du commerce au nom du principe de précaution, notamment au vu des risques sanitaires et environnementaux peu ou pas évalués.
Le consommateur fait alors d’une certaine manière figure de cobaye… Au dessus de tout cela, les politiques cherchent avant tout à protéger l’un des secteurs stratégiques de l’économie. Une sorte de « banalité du mal » relative au domaine scientifique en découle, qui alimente la tendance du « tous pourris ».
Pourquoi la participation des citoyens a-t-elle autant d’importance ?
Au vu du constat précédent, il faut agir. C’est impossible de dresser une « liste noire » des personnes ou produits impliqués, et ce n’est pas non plus l’objet de l’association. C’est le système lui-même qui est à revoir. Et surtout, les citoyens doivent se pencher sur la question. Le préjugé sur l’incapacité des citoyens à débattre sur des questions scientifiques est à détruire : il suffit de leur donner les moyens de se former. Notre implication à tous dans la course au progrès rend logique notre participation aux débats.
Quel est le problème ?
Ce droit de participation est déjà reconnu aux citoyens. Seulement, il se révèle bien souvent contraint à la seule consultation. D’après un sondage réalisé en 2012 auprès de chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), il y a aussi une réticence pour un pourcentage important des chercheurs à travailler avec eux, remettant en question la pertinence de la participation des citoyens aux travaux de recherche.
Dans une interview diffusée pendant la conférence (voir ci-dessous), la journaliste à La Vie Dominique Fonlupt interroge Jacques Testart sur le sujet. “Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’engagement de l’État à tenir compte des résultats issus des débats citoyens”, dénonce le biologiste qui a permis la naissance du premier bébé éprouvette en 1982. “Par conséquence, les chercheurs cherchent simplement une façon de rendre acceptable leurs produits par la population à travers ces débats. Ils feront tout de même ce qu’ils avaient prévu : c’est un leurre de démocratie. Un abus inacceptable, alors que nous, consommateurs, paieront les pots cassés en cas de problème sanitaire par exemple”, dénonce-t-il.
Quels sont les moyens d’action ? Où en est-on ?
Les moyens d’action sont nombreux pour stimuler le débat public : protéger les lanceurs d’alerte, créer des espaces d’échange et de débat démocratique, etc. Par exemple, une récente réalisation de l’association est l’adoption en 2012 par le Parlement français d’un projet de loi sur la déontologie et la pluralité de l’expertise initialement proposé par Sciences Citoyennes.
Parallèlement à ce que nous a expliqué Bérangère Storup, Jacques Testart décrit dans son interview le déroulement des conventions de citoyens telles qu’elle sont été imaginées par Sciences Citoyennes, à partir des conférences de citoyens déjà existantes au Danemark. Lorsqu’une controverse est identifiée, les citoyens sont tirés au sort et l’échantillon est diversifié pour éviter tout conflit d’intérêt. Ils peuvent refuser leur rôle, donc leur investissement est garanti.
Les participants sont ensuite formés sur le sujet par un comité de pilotage. On leur expose les généralités de l’affaire et des points de vue contradictoires d’experts. Ils visionnent des films, se renseignent par le biais d’articles choisis par le comité. Dans un troisième temps, ils peuvent même inviter d’autres intervenants qu’ils ont envie d’entendre sur le sujet. Ils rédigent pour finir leur propre rapport. À la différence d’autres dispositifs de consultation des citoyens, les pouvoirs publics ont l’obligation de prendre en compte leurs recommandations.
Mis dans cette situation d’apprendre, leur implication est réjouissante. Ils sont mus par le même souci d’apporter quelque chose aux autres, à l’humanité. Jacques Testart nomme cela l’humanitude. Dans notre génération informatisée et individualisée, c’est une valeur qui se perd.
Propos recueillis par Margaux Hirel
Pour aller plus loin
Jacques Testart, biologiste spécialiste de la reproduction, sur la participation des citoyens.
La question que nous lui avons posée sur la sélection des embryons.